C’est une victoire. À la fois judiciaire et politique. Il faut dire que même si les membres du Collectif contre les PPP n’ont pas « l’esprit revanchard, nous savourons quand même », avoue l’avocat Christian Bruschi au nom du Collectif. Depuis plusieurs mois, il menait cette bataille sur le terrain judiciaire contre la Mairie de Marseille, pour faire annuler la délibération d’autorisation de lancement du partenariat public-privé (PPP) pour la reconstruction des écoles de Marseille. Un programme à un milliard d’euros stoppé net par le tribunal administratif, mardi 12 février.
La juridiction a jugé non valable la délibération d’octobre 2017 qui lançait l’appel d’offres et particulièrement la méthode du PPP ; suivant la décision rendue par Lison Rigaud, la rapporteure publique, le 29 janvier 2019. Le tribunal reproche notamment à la Ville de ne pas apporter « de justifications suffisantes quant aux paramètres retenus dans l’identification des risques » des chantiers, qui font augmenter le devis de la maîtrise d’ouvrage publique de 18,3 %, le rendant plus onéreux qu’en PPP.
Françoise Berthelot : « Pour les enfants de Marseille »
Le recours avait été déposé par le syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône (SA13), les conseils national et régional de l’ordre des architectes (Cnoa et Croa Paca) et trois contribuables. C’est avec émotion que la présidente du conseil régional de l’ordre des architectes a accueilli la nouvelle dans la matinée. « Ce n’est absolument pas une victoire, ni personnelle, ni de l’Ordre, c’est une victoire collective, pour les Marseillais et les enfants de Marseille, confie Françoise Berthelot, profondément touchée. Je pense aux architectes bien sûr, mais aussi aux PME, à la Capeb… C’est une victoire pour tous ceux qui se sont mobilisés sur cette affaire, car c’était quelque chose de trop énorme, c’était aller trop loin ».
Et d’ajouter : « Le PPP, c’est quelque chose d’assez pervers, et il a été démontré à plusieurs reprises que ce n’était pas la meilleure des solutions. Le tribunal nous a écoutés. Pour moi, ce qui était impensable, c’était d’imaginer que l’on puisse traiter les 34 écoles en même temps avec 3 ou 4 prestataires qui travailleraient dessus comme on ferait des voitures à la chaîne. On ne peut pas faire des écoles à la chaîne, il faut tenir compte de leurs spécificités et de leur implantation dans chaque secteur de la ville ».
Démarrer un audit des 444 écoles de Marseille
Même discours du syndicat des architectes, « très satisfait de ce résultat » confie Maxime Repaux, membre du syndicat. Il espère que la Ville de Marseille va désormais engager un audit sur l’ensemble des 444 écoles de la cité phocéenne, afin d’établir un plan de travail sur leur rénovation. « Il y a peut-être des écoles plus anciennes, qui datent du XIXe siècle, début du XXe qui, elles, nécessitent des travaux plus urgents, que les écoles Pailleron où l’on a démontré qu’avec une réhabilitation thermique et phonique, on arrivait à moindre coût à avoir des écoles conformes aux normes actuelles », note l’architecte. Dans le projet alternatif, le syndicat faisait la démonstration suivante : engager un programme de réhabilitation, plutôt qu’une déconstruction-reconstruction des 32 écoles Pailleron, permettrait une économie de 300 à 400 millions d’euros.
À l’issue du diagnostic que beaucoup appellent de leurs voeux, le syndicat des architectes préconise le lancement des consultations des travaux les plus urgents en maîtrise d’ouvrage public (MOP), « ce qui est, selon nous, conforme à la loi sur l’architecture, la seule procédure, qui est certes ancienne car elle date de 1978, mais elle a fait ses preuves. Elle permet de garantir en toute indépendance et au mieux la défense de l’intérêt public et non les intérêts privés de multinationales ».
Selon le syndicat dans le cadre d’un audit, une cinquantaine de cabinets pourrait répondre favorablement (l’ordre des architectes compte 900 architectes) et « se mobiliser dès à présent pour travailler de manière rationnelle et pragmatique avec la Ville. On peut constituer des équipes pour, dans un délai de 2 à 3 mois, établir un diagnostic technique. On est prêt à se mettre autour de la table, reprend Maxime Repaux, d’autant que se pose aussi la question de la maintenance des écoles. Si le tribunal a suivi nos demandes, c’est qu’elles étaient fondées. Il y a eu une erreur d’appréciation au départ ça peut arriver, maintenant, il ne faut pas mésestimer les urgences sur certaines écoles ».
Une victoire politique
Le Collectif Marseille en commun salue également la décision du tribunal. « C’est la victoire d’une mobilisation collective exemplaire contre un projet aberrant », écrit dans un communiqué Sébastien Barles, son co-fondateur. Il invite à regarder du côté de Grenoble, « ville écolo, et son plan d’investissement dans 5 écoles neuves qui intègre une rénovation d’autres écoles à 65 M €, sous maîtrise intégrale de la ville à 100%, avec des marchés fractionnés donnant la priorité aux PME locales avec des clauses d’écoresponsabilité sociale et environnementale, avec priorité donnée au bois des Alpes… »
À cette victoire sur le terrain judiciaire s’ajoute la victoire politique. « Historique », selon Benoît Payan, qui insiste sur la « mobilisation sans précédent qui a conduit à ce jugement ». L’élu socialiste qui porte la pétition contre les PPP des écoles avec l’élu communiste Jean-Marc Coppola appelle « solennellement le maire de Marseille à ne pas faire appel. Le maire doit prendre acte de cette décision de justice, comme il doit entendre la colère et la mobilisation des Marseillais ». Parmi les députés de la majorité présidentielle, Saïd Ahamada formule la même demande, regrettant que la Ville « n’ait pas entendu nos appels à raison. » Pour Alexandra Louis « l’erreur aura été de se précipiter devant l’urgence réelle sans prendre le temps de l’audit. Pour l’avenir des écoliers et enseignants marseillais, il faut définir un plan rapide et financièrement efficace. »
Même discours de La République en marche 13 qui souhaite « qu’il ne soit pas présenté de nouveau projet sans une analyse poussée et publique de toutes les alternatives, en concertation étroite avec l’ensemble des Marseillais(es). En effet, il conviendra de les laisser décider dans les urnes, dans un an, de l’avenir de leur groupe scolaire». L’équipe LREM13 demande également que le Département des Bouches-du-Rhône flèche vers les écoles « une part significative des 50 M€ supplémentaires accordés à la ville de Marseille.
La riposte de la Ville
Malgré les demandes répétées de renoncer à faire appel, la Ville « sûre » de son dossier, comme l’a souligné à plusieurs reprises Yves Moraine, président du groupe LR au conseil municipal a décidé de « riposter ». À la mi-journée, la municipalité indiquait dans une réaction laconique qu’elle fera « connaître sa position sur le PEA [Plan École Avenir ndlr] lorsqu’elle sera officiellement informée de la décision du tribunal administratif», s’étonnant « que des fuites aient eu lieu et qu’exploitent déjà les oppositions et certains médias.»
Mais déjà Yves Moraine disait regretter que le tribunal administratif se soit « focalisé que sur un critère financier », rendant « un jugement d’opportunité plus que de droit.» Pour lui, ce jugement contredit « ce qui avait été décidé par des experts indépendants, de la direction régionale des finances publiques et de Bercy », qui avaient, selon lui, donné leur feu vert à ce PPP. « Je pense qu’ils sont compétents et pointilleux, je suis un peu étonné de la décision du tribunal administratif », explique-t-il. Dans la soirée, et après analyse du jugement, la Ville qui reprend les arguments d’Yves Moraine dans un communiqué, a informé de son intention d’interjeter appel « en souhaitant que cela ne retarde pas la réalisation du Plan Ecole Avenir. La Ville espère donc que ce procès fait à son projet ne porte pas préjudice à la communauté scolaire et plus généralement aux Marseillais». Face à cette option, les opposants au projet continueront « à se battre », jure Françoise Berthelot.
Divergences dans la majorité
Le jugement du tribunal aurait pu constituer une porte de sortie pour la majorité municipale, au sein de laquelle des divergences sur le plan « Ecole Avenir » ont été mises au jour ces dernières semaines. Le sénateur (LR) Bruno Gilles et Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille Provence et du Département des Bouches-du-Rhône ont émis quelques réserves sur le partenariat public-privé. « Il est de notre devoir de travailler à de nouvelles solutions efficaces, pragmatiques et rapides avec les acteurs du secteur», a d’ailleurs indiqué le candidat déclaré à la mairie de Marseille. Il prône « une nouvelle méthode, car le problème de nos écoles demeure devant nous». La procédure bloquée et l’appel n’étant pas suspensif, l’audit réclamé par les opposants pourrait être une manière de préparer la suite.
Par ailleurs, la décision de la rapporteure publique avait abouti à de nouvelles discussions de la majorité. L’évolution des délais était telle que la notification du marché n’aurait pu intervenir au mieux après le conseil municipal de décembre 2019 ou de janvier (ce dernier n’ayant pas lieu en raison de la campagne électorale pour les municipales de 2020). « On se disait qu’il fallait boucler le dossier et peut être ne pas appuyer sur le bouton pour laisser au futur maire le choix de faire ou pas. Cela paraissait un choix démocratique intéressant», explique Yves Moraine. Avec cette épisode judiciaire, c’est le scénario qui se profile, à la condition que la cour d’appel donne satisfaction à la Ville. Dans le cas contraire, le projet du PPP pour les écoles marseillaises sera bel et bien enterré.
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