Une respiration nécessaire, pas un souffle puissant
Les gazettes, généreuses, ont voulu y voir plusieurs milliers, quand il n’y en avait que quelques centaines. A Marseille, comme à Aix et ailleurs dans le département, la manifestation contre l’antisémitisme, réunissant à l’exception du Rassemblement National, l’ensemble des partis qui répondaient ainsi à l’appel du Parti Socialiste n’a pas réuni les foules. Comme si les démocrates et les humanistes doutaient de pouvoir endiguer, par leur seule présence, ce mauvais vent qui souffle encore et toujours sur notre pays. La communauté juive était là bien sûr, digne et silencieuse. Elle a entendu, comme les amis qui se pressaient autour d’elle, la longue complainte de la Shofar cet instrument biblique, une corne de bélier, qui, en un son long, rappelle aux consciences qu’il est temps de s’alarmer. On remarqua ce mardi soir sous l’ombrière, qui en son miroir décuplait les forces présentes, des lettre brandies à bout de bras. Elles disaient « fraternité ». Les élus de droite et de gauche présents, dont Jean-Claude Gaudin maire de la ville, acquiescèrent en souriant, mais sans commentaire. Un essaim de caméras vint troubler ce recueillement. Jean-Luc Mélenchon, entouré de quelques sbires chargés de sa sécurité, avait préféré la sérénité du Vieux Port à la place de la République à Paris. Sous les projecteurs il condamna l’antisémitisme autant que le racisme et l’homophobie mais en souhaitant que par quelque amalgame on n’y associe pas les Gilets Jaunes. Il était bien le seul ce soir-là à évoquer cette hypothèse-là.
La juste et douloureuse colère de Nadia
On l’aura utilisé dans les médias ce mot « colère ». Le dictionnaire nous rappelle qu’il signifie « violent emportement accompagné d’agressivité ». Pourtant elle, n’est pas agressive. Nadia Bègue, la maman de Thibault un Arlésien de 27 ans, mort pour n’avoir pas prévu que des poids lourds seraient arrêtés tous feux éteints sur la nationale 113 qu’occupaient des Gilets Jaunes. Elle ne réclame qu’une chose, que ces derniers n’utilisent pas la mort de cet artisan, son petit, qui cumulait deux boulots pour nourrir son fils. Nadia a eu cette phrase en s’adressant aux protestataires qui occupent les centres villes et les ronds-points depuis trois mois : « On leur demande d’arrêter de parler pour tout le monde. Ils ne parlent ni pour moi ni pour mon fils ». La révolte de Nadia n’a pas fait les gros titres et encore moins la une de certains journaux qui ont préféré la photo des GJ défilant avec des cercueils. Ils ont ainsi rappelé, sans évoquer les circonstances ni les causes, que le conflit avait fait onze morts. Le journaliste Brice Couturier, rappelle utilement dans une tribune parue dans la dernière livraison du Point, que la presse a été victime ces dernières semaines d’un certain emballement et que par incompétence, « paresse » ou pour sacrifier aux chiffres de l’audimat, elle avait souvent oublié de se placer au-dessus de la mêlée. Il aurait en effet peut-être été bon d’aller entendre le silence de la mère d’Arles puis de relayer ses paroles fortes. Elles avaient l’épaisseur de la douleur et de la dignité.
LCI et l’expert sémiologue
Les Marseillais ont une sainte horreur qu’on se foute d’eux. Ils n’ont pas tort. Faut-il encore que certains d’entre eux n’apportent pas le carburant qui épaissira la caricature. Les journalistes qui exercent l’honorable fonction de correspondants de chaînes ou de journaux nationaux savent combien les rédactions parisiennes raffolent de ces portraits, anecdotes, fait- divers dont recèlent la deuxième ville de France. Un chef de service confiait ainsi il y a quelques années à un de ses collaborateurs qui oeuvrait sur le Vieux-Port cette évidence « quand l’actualité n’a pas de talent on sait qu’on trouvera toujours quelque chose avec Marseille ». Et, secret de fabrication médiatique, on estime que les interviewés marseillais sont « de bons clients ». Parmi ceux-là il y a des super stars. A commencer par René Malleville connu autant pour ses « médailles sur poils » que pour ses formules sans appel lorsqu’il évoque les exploits ou les naufrages de l’OM. Depuis quelques semaines, il est aussi militant de la cause Gilet Jaune et les envoyés spéciaux des chaînes d’info continue adorent poser avec complaisance avec lui sur les barrages de Fos ou de la Mède. Melville déverse dans leur micro ce qu’ils attendent : un salmigondis improbable qui réjouira les chaumières du nord, de l’est, de l’ouest et du sud. LCI du coup a senti qu’il fallait aller plus loin. Melville s’est donc livré, à propos des prestations de Christophe Castaner sur le net, à une analyse sémiologique de haute volée. L’animal médiatique dans un sursaut de clairvoyance a résumé dans une dernière intervention ce que nos confrères n’ont visiblement pas encore compris. Malleville rappelle ainsi que « c’est Gaston Defferre qui m’a viré au cours d’une réunion publique avec 1000 personnes ; J’étais élu avec lui pourtant. Dans cette réunion il m’a dit devant tout le monde : sache que dans mon prochain conseil municipal, il n’y aura plus de grande gueule ». Mais ça, c’était avant.
Les explications attendues
Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin attend « des explications » d’un de ses élus, André Malrait. Ce dernier s’est fait épingler dans les médias, pour avoir loué un peu plus de 500 euros par mois un ancien garage converti en studio. Sa locataire ne paie plus depuis décembre 2018, car son « logement » prend l’eau. Il fallait l’aérer répond l’élu qui s’y connait en construction, puisqu’il a longtemps dirigé un cabinet d’architecture. Tout ça fait un peu désordre d’autant qu’à l’académie des sciences arts et lettres de Marseille, où il occupe la 32e place, l’adjoint au patrimoine a succédé à Odette Singla dont il fut l’élève. On peut évidemment imaginer meilleure image des élus, au moment où la ville doit se coltiner la lourde problématique de l’habitat indigne. Les associations mobilisées derrière les sinistrés de la rue d’Aubagne n’hésitent plus du coup à diffuser une sorte d’avis de recherche, contre ces édiles et leur légion de déshonneurs. C’est excessif bien entendu et n’apportera sans doute pas de solutions à cette crise majeure. Mais c’est aussi le prix à payer, lorsqu’on a nié les plaies pendant des décennies et que l’on découvre aujourd’hui que la gangrène s’est installée.
Aix perd ses livres mais Marseille fait son cinéma
« La lumière est dans le livre » disait Hugo. Il va donc faire plus sombre sur le cours Mirabeau où la librairie de Provence aura du mal à survivre, malgré une mobilisation courageuse. Ainsi va la patrie d’Emile Zola, où le prix des pas-de- porte est plus fort que celui qu’on attache à la culture. A Marseille c’est une autre forme de papier qui est appelé à disparaitre. La dernière « presse » présente au bout de la longue rue Breteuil (6ème) vient de fermer définitivement. Il y va d’une évolution logique diront les plus optimistes. Et ils appuieront leur démonstration sur le fait que la révolution numérique a bouleversé la donne. Oui, mais à y regarder de près, il est désormais plus que probable qu’on se retrouve confrontés à une béance redoutable. Les chiffres attestent ainsi que les médias traditionnels – télé, radio, presse papier – revendiquent un public qui en moyenne se situe au-delà des 55 ans. Les moins de cinquante ans s’informent ou se cultivent presqu’essentiellement à partir des réseaux sociaux. Ces mêmes canaux qui véhiculent près de 50% d’informations fausses ou, en partie, inexactes. Dans une région de tradition orale comme la Provence, la presse papier et le livre étaient des balises indispensables. Si elles disparaissent à qui profitera ce génocide culturel ? Une lumière pourtant dans ce ciel sombre les trois « César » obtenus par Shéhérazade. Le film de Jean-Bernard Marlin a été couronné comme ses jeunes espoirs, issus de la Belle de Mai, Kenza Fortas et Dylan Robert. Pour ce dernier, qui tentait de se réinsérer après l’épreuve de la prison, Marlin a confié à La Provence que, lorsqu’il l’a sélectionné, « sur son visage, on pouvait lire une histoire ». Shéhérazade parle entre autres de la prostitution des mineurs. Celle qu’on peut lire dans les journaux et dans les livres et qui est dénoncée par ce film « marseillais ».
Le cours des miracles
« Qui n’a pas vu Séville n’a pas vu de merveille » dit un proverbe espagnol. Mais qui n’a pas vu le cours Ballard aux heures de pointe n’a pas vu comment on organise les travaux de voierie à Marseille. Si le mot capharnaüm n’existait pas nos responsables locaux l’auraient sans doute inventé. Résumé des faits : un cours en pleine réfection. Il est aussi l’embouchure d’un axe essentiel : la rue Breteuil qui permet d’aller d’ouest en est ou des autoroutes A7 et A50 à l’A55. Il est aussi le débouché d’une rue (Saint Saens) et d’une sortie de parking (Estienne d’Orves). Il est enfin une sorte de gare routière pour dix lignes de bus. La réfection en cours étant conséquente, on aurait pu imaginer : une limitation d’horaires strictes pour les livraisons, un détournement de la rue Saint Saens, et éventuellement une fermeture aux heures chaudes, de la sortie Ballard du parking. Oui mais cela aurait nui aux touristes qui, comme chacun sait, adorent l’ambiance napolitaine de nos rues lorsque les klaxons sont déchainés, les majeurs se tendent vers le ciel, les insultes tombent comme à Gravelotte. Et cela permet de nourrir la légende, comme ce Marseillais qui roule trop à gauche et à qui un piéton en fait le reproche. Il répond « ici, môôôssieur sachez qu’on passe à l’ombre ! » Mais il vaut mieux éviter le soleil de Ballard.