Aux côtés de Jeanne Lafitte en ses Arcenaulx, deux figures du monde culturel marseillais se penchent sur un troisième personnage… Marie-Paule Vial, ex-directrice des musées de la ville, et Luc Georget, patron des beaux arts de Longchamp viennent de publier un livre illustré de 130 pages, sur un créateur qui s’attribuait lui-même cette triple vocation : sculpteur, peintre, architecte. Retour sur un exceptionnel parcours.
[pullquote]Octobre 1620, précisément au 22 rue du puits, quartier du Panier[/pullquote] Pierre Puget est né quartier du Panier à Marseille, en octobre 1620, précisément au 22 rue du puits, comme le rappelle une plaque sur une modeste maison, à deux pas du lieu où il bâtira plus tard l’un des édifices les plus originaux dans le style baroque: la Vieille Charité. Il n’a que deux ans quand son maçon de père se tue en tombant d’un échafaudage. A 14 ans, il entre en apprentissage auprès d’un maître sculpteur de Marseille qui travaille le bois.
Après de fréquents séjours à Florence, où il perfectionne cette technique, sa première commande d’importance concerne la façade de l’hôtel de ville de Toulon, et peut toujours y être admirée. Son couple d’atlantes – ces géants au torse nu porteurs du balcon et gardiens de l’accès – parait à la fois puissant et fatigué. Taillés dans la pierre beige clair de Calissanne (au nord de l’étang de Berre), ces personnages arborent des visages déformés par l’effort. Une main au creux de reins douloureux, une autre pressant la joue dans un geste de désespoir. Tout cela ne relève pas de l’invention, mais bien de l’observation, car l’artiste, âgé alors de 37 ans, prit naturellement pour modèle la souffrance des portefaix, qu’il croisait tout près de là, sur les quais toulonnais, chargeant ou déchargeant de lourds sacs de marchandises.
Ce monumental décor inspirera Charles Baudelaire, témoin ces vers éloquents :
“Toi qui sut ramasser la beauté des goujats,
Puget, mélancolique empereur des forçats”
Au cours des sept années passées ensuite à Gênes, Puget choisit les marbres de Carrare, un matériau qu’il aime, dit-il, à faire trembler. C’est en effet face à un tel bloc que, muni des seuls marteau et ciseau, l’homme s’attaque, à 50 ans, à représenter l’ultime tragédie vécue par un héros antique de Crotone nommé Milon. Tentant d’abattre à main nue un chêne, les doigts de cet athlète olympique restent pris entre l’arbre et l’écorce. Incapable de se dégager de cet étau, Milon subit l’attaque de bêtes sauvages affamées, qui vont le griffer et le déchirer. Haute de 2m70, cette statue réside musée du Louvre à Paris. L’auteur y aura travaillé une douzaine d’années. Une reproduction est visible à l’angle marseillais du Cours Ballard et de la place aux huiles.
Un autre carrefour de mémoire pugétienne , non loin de là… Sa propre demeure, qu’il érigea sur deux étages, au croisement des rues de Rome et de la Palud. En contrebas du balcon, se dresse aujourd’hui une colonne cannelée coiffée du buste du peintre qui avait adopté pour devise ces quatre mots : “Nul bien sans peine”!
[pullquote]Une immense place ovale au bas de la Canebière[/pullquote] En 1667, Pierre Puget est nommé architecte en chef de la ville de Marseille. Il y construit la halle de poissonnerie, restaurée entre Alcazar et Porte d’Aix, le centre de la Vieille Charité. Le livre Vial-Georget reproduit les projets dessinés par ce maître pour une immense place ovale, au bas de la Canebière, s’ouvrant sur le Vieux-Port en arc de cercle. Sous l’arcade centrale et triomphale, devait trôner une majestueuse statue équestre du roi Louis XIV. Une véritable “mise en scène urbaine”, qui, si elle avait été réalisée, « aurait fait de Marseille une des plus belles capitales de l’âge baroque.» Mais cela coûtait trop cher, c’était aussi trop novateur. Les ébauches resteront en plan.
Parfois tenu pour le “Michel Ange français”, Pierre Puget s’éteint en décembre 1694, à l’âge de 74 ans, et 320 ans ont passé, mais ses marbres restent toujours pleins d’énergie et de fureur.