Chaque année en France, les médecins remplacent « la fabrique » à cellules sanguines déficiente de 1 800 patients atteints de graves maladies du sang par celle d’un donneur compatible. Cette technique, autrefois appelée greffe de moelle osseuse, est devenue greffe de cellules souches hématopoïétiques (GCSH). Elle représente aujourd’hui le seul traitement curatif pour la plupart des maladies du sang comme les leucémies ou les lymphomes. Si elle permet de sauver de nombreuses vies, elle comporte également des risques. Alors qu’ils sont guéris de leur maladie initiale, plus de la moitié des patients greffés font face à des complications, souvent sévères et pouvant entraîner la mort dans 10% à 20% des cas.
Créer la plus grande collection d’échantillons biologiques de couples donneur/receveur
Dès les années 2000, Agnès Buzyn, alors responsable de l’unité de soins intensifs d’hématologie adulte et de greffe de moelle de l’hôpital Necker à Paris, et Boris Calmels, biologiste au centre de thérapie cellulaire de l’institut Paoli-Calmettes, se sont rendus compte qu’il existait de nombreuses données cliniques en France sur la maladie du greffon contre l’hôte mais aucune ressource. Avec son collègue le Pr Régis Peffault de Latour, médecin greffeur au sein du service d’hématologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, Boris Calmels a réussi à créer en 2011 le réseau Cryostem, la première collection d’échantillons biologiques de couples donneur/receveur d’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques.
Depuis l’institut Paoli-Calmettes à Marseille, et l’hôpital Saint Louis à Paris, Cryostem regroupe 33 des 36 centres d’allogreffe du pays et 23 centres de ressources biologiques associés, « alors que les autres cohortes parviennent péniblement à réunir la moitié des centres de ressources », précise Boris Calmels, coordinateur du réseau. Il fait partie des dix projets retenus par l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre de l’appel à projets « cohortes » financé par le grand emprunt « Investissements d’Avenir ». Cette biobanque nationale réunit aujourd’hui les prélèvements d’échantillons sur les patients avant la greffe et pendant deux ans après leur greffe. Les échantillons sont mis à la disposition de la communauté scientifique qui pourra mener des travaux de recherche et extraire de nouvelles connaissances qui permettront de mieux prévenir, diagnostiquer et traiter les complications de la greffe.
Cryostem à l’origine de nouvelles recherches médicales
Depuis avril 2015, Cryostem a ouvert l’accès aux 150 000 échantillons biologiques qu’elle a actuellement collectés de couples donneur-receveur de greffe de sa collection aux laboratoires académiques et industriels du monde entier. Orientée initialement sur la seule maladie du greffon contre l’hôte, une forme majeure de complication, la thématique a été étendue en novembre 2016 à l’ensemble des complications de l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques comme les infections (bactériennes, virales ou fongiques) et la toxicité du traitement pré-greffe sur certains organes comme les muqueuses, la peau et l’œil : « Notre objectif final est de faire avancer la recherche sur cette problématique mais cela touche également à de nombreux enjeux de l’immunologie et de la cancérologie moderne », ajoute Boris Calmels.
Au travers de son programme HTC Project (pour Hematopoietic stem cell Transplantation Complications), Cryostem a retenu trois projets de recherche en 2015 : une nouvelle classe de cellules immunitaires pour prédire la maladie du greffon contre l’hôte (CIML, Conception, Marseille Immunopôle), l’efficacité des cellules MAIT (Mucosal-Associated Invariant T cells) dans la lutte contre la maladie du greffon contre l’hôte et les infections (hôpital Robert Debré, Inserm, CNRS, université Paris-Diderot) et l’identification de nouveaux biomarqueurs pour le diagnostic et le suivi du traitement de la maladie du greffon contre l’hôte (Hôpital l’Archet, Nice). Les premières publications sur ces travaux sont attendues dès le début de l’année prochaine. Cryostem vient de retenir un quatrième projet de recherche en février 2017. « Nous avons désormais modifié notre fonctionnement pour pouvoir recevoir plus de candidatures dans le cadre d’appels à projets annuels », explique le docteur Émilie Robert, chef de projet chez Cryostem.
Cryostem commencera à lever des fonds l’année prochaine
« Le but du HTC Project est d’obtenir rapidement des résultats au travers des recherches associées pour pouvoir lever des fonds », explique Boris Calmels. Pour l’instant, Cryostem est financé en majeure partie par des fonds publics avec une dotation de 5,5 millions d’euros des Investissements d’Avenir jusqu’en 2019. Selon les dernières déclarations de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, les Investissements d’Avenir devraient être reconduits dans deux ans mais l’objectif est que les projets soient autonomes financièrement à moyen terme. Pour se financer, CRYOSTEM fait payer l’accès à sa collection qu’elle finance aujourd’hui sur fonds propres et déjà avec le soutien des associations Laurette Fugain, de l’International Research Group on Hematopoietic Stem Cells Transplantation (IRGHET), de Vaincre la leucémie et de Cent pour Sang La Vie. En plus de la mise à disposition des échantillons, la structure souhaiterait également financer totalement ces programmes de recherche et pouvoir les multiplier. Elle attend donc les premières publications scientifiques pour se lancer en quête de généreux donateurs. « On aimerait récolter environ 500 000 euros par an », précise Boris Calmels.
Ce projet, né à l’initiative de la Société francophone de greffe de moelle et de thérapie cellulaire (SFGM-TC), coordonné par l’institut Paoli-Calmettes et l’hôpital Saint-Louis de Paris, s’adresse aux scientifiques du monde entier. Lors du congrès de l’European Group for Blood and Marrow Transplantation (EBMT) qui s’est tenu au parc Chanot du 26 au 29 mars dernier, Cryostem a établi ses premiers contacts avec les chercheurs académiques et industriels étrangers. Des équipes canadiennes et allemandes vont bientôt utiliser sa collection pour la première fois. Les industriels se sont également dits intéressés pour étudier les infections fongiques. De futurs utilisateurs de Cryostem qui pourraient participer à la reconnaissance de cette jeune cohorte auprès des grands acteurs du médicament.
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