C’est une première. Pour le grand projet d’aménagement des 140 hectares du quartier Saint Charles – Belle-de-mai, la Ville de Marseille a décidé de consulter les citoyens avant même de rédiger le cahier des charges. Le jeudi 13 novembre sonnait la fin de la première étape avec la restitution des travaux.
Pour la soirée de restitution de la concertation, tout le monde est sur scène. Dans le théâtre du grand plateau de la Friche (3e), les tables sont disposées façon repas de mariage. Soda, chips, jus de fruit pour une centaine de participants. Si les formes sont mises, c’est que l’enjeu est de taille. Il s’agit d’imaginer ce que seront dans 30 ans les 140 ha dans lesquels on retrouve « la future gare métropolitaine, un pôle universitaire, il faut raccorder la belle de mai au centre ville, construire un pôle d’attractivité économique à l’échelle métropolitaine », rappelle en introduction Laure-Agnès Caradec, adjointe à l’urbanisme depuis mars dernier. C’est surtout une innovation chère à l’urbaniste de profession . « D’habitude, c’est D-A-D, décider, annoncer, défendre. Sur ce dossier, nous avons voulu vous voir (ndlr : les habitants) bien en amont pour déterminer les attentes des uns et des autres pour pouvoir monter ce cahier des charges. », résume-t-elle.
Ce soir, Res Publica, le bureau d’études choisi par la Ville de Marseille pour sonder les habitants, dévoile le résultat de 4 mois de travail avec le service urbanisme de la ville. Personne n’a été oublié. Associations, commerçants, institutions, grand-public; le bureau d’études a été jusqu’à sondé les habitants à la sortie des superettes. Jenparle.net, un site dédié expose tous les travaux et rend accessible les documents de travail.
Un secteur trop longtemps délaissé
Le rendu de la concertation défile sur grand écran : besoin de services publics, amélioration du cadre de vie, manque d’espaces verts. Et les écoles, « surtout les écoles », ont répété les habitants. Rien de surprenant ni d’innovant. Mais ce soir, le pouvoir ne nie pas ses responsabilités et l’exercice pousse à l’autocritique. « On est collectivement responsable, ça fait 50 ans qu’on loupe le 3e arrondissement », concède Robert Assante, dans la majorité depuis 1995 et actuellement élu à l’environnement et au développement durable.
« Il nous reste pile une heure, on peut faire plus court, mais on ne fera pas plus long », cadre Gilles-Laurent Rayssac, directeur de Res Publica en vértiable maitre de cérémonie. Le micro tourne et les remarques pleuvent : « Sur les diapos, on lit : ”construire les services publics du XXIe siècle”, mais nous ne sommes même pas passés par le XXe siècle », souligne un habitant. « Construire un pôle d’attractivité économique, mais, attention, la Friche et le Pôle Média déjà implantés fonctionnent en vases clos et ne génèrent pas d’activité pour les habitants » alerte un autre. « Il serait judicieux de construire un point de rendez-vous, une maison du projet couplée à une bibliothèque pour envoyer un véritable signe », propose une habitante. Les uns parlent de s’occuper de la jeunesse, de formation professionnelle, un autre « d’imaginer une pensée globale de notre quotidien de demain. ». En réalité, ce qui se joue ici n’est pas un simple projet urbanistique, mais une thérapie de groupe à laquelle Laure-Agnès Caradec vient mettre le holà. « Attention, la mairie ne peut pas résoudre tous les problèmes non plus ! »
Tenir la distance
Le cahier des charges fidèle à l’expression populaire sera au centre du dialogue compétitif lancé pour l’aménagement des sept hectares des casernes qui est la première phase de ce projet de 140 ha. Cette méthode différente de celle de l’appel d’offres classique laisse place à l’innovation des groupements pluridisciplinaires (architectes, urbanistes, sociologues, paysagistes) qui répondront au projet. Désormais, la concertation sera en sommeil jusqu’au mois de mai lorsque le prestataire sera connu. Alors les échanges pourront recommencer « l’édition de deux ou trois journaux, deux à trois discussions sur des sujets d’aménagement et d’urbanisme », prévoit la diapositive. « Le dialogue ne doit pas s’arrêter là. Il faut remettre les choses à leur place, c’est de l’argent public, nous ne sommes pas uniquement là pour être informer mais pour participer aux décisions », tient à préciser Hélène, une habitante. « Même si c’est un simulacre de concertation, si les propos ne vont pas plus loin que les évidences, c’est bien que ce soit venu de la part de la mairie », analyse Pierre, architecte et habitant de la Belle-de-Mai avant de nuancer, « le fait que la maîtrise d’usage (assurée par Res Publica) soit réalisée par une société payée par le maître d’ouvrage (la Ville de Marseille) pose pour moi un problème d’indépendance. Il serait plus sain qu’elle soit assurée par une association de citoyens indépendante. »
Même si la démarche pouvait être plus exemplaire, la mairie de Marseille fait ses premiers pas en démocratie participative. Et toute la détermination de Laure-Agnès Caradec sera nécessaire pour ne pas s’arrêter en route : « là on a vraiment une volonté d’essayer de faire autrement, mais ça prend beaucoup de temps et d’énergie ». L’élue promet de persévérer. Et les habitants sont prêts à rentrer dans une « dynamique optimiste et constructive », comme l’affirme Serge Pizzo, le président du CIQ de la Belle-de-Mai, pour construire la démocratie marseillaise du XXIe siècle.