Concernant la lute contre la drogue, est-ce que le gouvernement mène aujourd’hui selon vous la bonne stratégie ?
[pullquote]Cette stratégie d’affrontement, elle ne marche pas.[/pullquote]Jean Viard : Ce que je pense, c’est que la demande ne diminue pas, elle augmente. Or ce qui crée un marché c’est la demande. Donc tant que les jeunes des quartiers Sud, et les Aixois, des réseaux de toute la France du sud, s’approvisionneront dans les quartiers Nord, on peut faire ce qu’on veut il y aura toujours le même marché. Et en plus, aujourd’hui avec la politique actuelle, je pense qu’on augmente la tension entre les bandes de dealers. Une fois qu’on arrête un réseau, un autre tente de prendre la relève et ils s’affrontent d’où la série de règlements de compte. Cette stratégie d’affrontement ne marche pas. Quand on regarde le seul type de meurtre qui augmente en France, ce sont les meurtres entre jeunes. Et cette violence entre jeunes est très souvent liée au trafic de drogue. Tout cela c’est un bilan totalement négatif. Et quand on regarde le nombre de policiers que l’on met sur ce dossier, le nombre de places de prison que l’on utilise et l’absence totale de lutte contre les désirs de la consommation, on est quand même dans quelque chose d’absurde. D’autant que depuis un demi siècle la consommation augmente sans cesse en France.
Vous faites ce constat depuis combien de temps ?
J. V. : Depuis de nombreuses années. Je l’avais écrit dans mon dernier livre sur Marseille. Il y a des problèmes multiples dans « les quartiers », d’emploi, de solitude, de respect, notamment pour les jeunes. Mais il y a surtout un problème de « la » société française qui refuse de faire une place à ces jeunes issus de l’immigration du Maghreb, qui pourtant continuent pour la plupart à faire des efforts pour tenter de s’intégrer. Les études le montrent bien, notamment pour les filles. Du coup ces jeunes se battent pour survivre, et dans leurs moyens de subsistance, il y a la drogue… et il y a le djihad ! Ces deux imaginaires se retrouvent et font, en plus, appel au même savoir-faire, pour échapper à la police.
Est-il possible d’agir sur la demande, à défaut de lutter contre l’offre ?
J. V : On est dans une société des loisirs, festive où toutes les pratiques de temps libre se multiplient : la consommation d’alcool, les rapports érotiques, la drogue, les fêtes, la culture, les cultes… Ce n’est pas forcément négatif. Nous sommes dans une société qui a compris que la créativité est une donnée majeure et qu’elle ne se développe pas forcément durant le temps le travail. Le hors travail a pris le pas sur le travail. J’en parlais récemment avec une ancienne patronne de France 2, et je lui disais : quand est-ce que l’on fait une grande émission sur la mondialisation des vices ? Car dans la mondialisation, il y a bien aussi la mondialisation des vices, notamment en Méditerranée où une partie de la région consomme de l’alcool et une autre du haschich. Tout ça me fait dire que l’on mène une bataille absurde qui relève de vieilles idées, que la drogue est associée chez ceux qui nous gouvernent à mai 68, à la perte des règles et des valeurs… Au fond il mène une lutte réactionnaire. Ce n’est pas que je veuille généraliser la consommation de la drogue mais il faut constater que cette consommation est généralisée, d’ores et déjà, pour tous ceux qui le souhaitent. A Marseille, les jeunes la trouvent en trois minutes. Moi je ne sais pas la trouver et je n’en ai jamais consommée.
Que faire pour faire évoluer les mentalités de ceux qui animent la politique d’aujourd’hui ?
J. V. A chaque que fois l’on parle avec quelqu’un de responsable – j’en ai parlé une fois avec Manuel Valls, avec l’ancien préfet de police, etc- on vous dit « moi je connais quelqu’un qui a été détruit par la drogue ». Moi aussi « je connais quelqu’un » : deux filles de ma famille ont été détruites par la drogue. Parmi mes enfants aussi ce fut pour certains une question forte. Je sais donc comme la drogue est terrible. Mais c’est parce que je le sais que je dis qu’il faut arrêter de la laisser se développer avec un discours réactionnaire inefficace et coûteux. Il faut aider la jeunesse à la consommer de manière raisonnable et si possible à la trouver « nulle ».
Demain la suite de notre entretien avec Jean Viard
Lutte contre la drogue : « la France sera-t-elle le dernier pays à bouger ? » s’interroge Jean Viard (2/3)