La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Alain Cabras, 43 ans
Né à Marseille et désormais résident d’Aix-en-Provence.
Maître de conférence associé à Sciences Po Aix et consultant responsable du master II de management interculturel[/pullquote]
GoMet’. Définitions. Un territoire métropolitain : de quoi parle-t-on ?
Alain Cabras. Il s’agit de la définition d’un nouveau territoire destiné à assurer une fluidité économique, sociale, sociétale ; et donc, une fluidité politique. Or, l’idée métropolitaine aujourd’hui incarne davantage une césure qu’un passage.
G’. Dynamiques. Dressez-nous le portrait d’Aix-Marseille-Provence, à travers les courants qui la traversent et les mouvements qui la secouent.
A.C. Cette métropole rencontre un problème identitaire. Au sens anthropologique du terme, l’identité se trouve au croisement d’une histoire, d’une géographie et d’une cause. Aix-en-Provence et Marseille ne s’accordent sur aucun de ces trois points. Commençons par les dynamiques historiques : alors que la ville d’Aix regarde vers les terres, l’horizon marseillais se déploie au-delà de la mer. D’un point de vue géographique, la première est provençale et alpine, la seconde, encaissée, fait face à la mer.
À ces logiques opposées, s’ajoutent des projections économiques à travers le territoire tout aussi différentes. Seule l’autoroute tend finalement à définir un semblant de continuité entre les différents espaces. Reste à identifier les vraies causes qui habitent la métropole, à savoir les valeurs communes de cohésion. L’évidence selon laquelle le projet métropolitain n’aurait d’autre ambition que de situer Aix-Marseille-Provence sur la carte du monde, à travers ce nouvel espace politique, n’est qu’une considération simplifiée. Parce qu’Aix et Marseille ne nourrissent pas le même désir de rayonnement.
G’. Perspectives. Quelles ambitions ce projet métropolitain devrait-il poursuivre ?
A.C. L’enjeu, tel qu’il est appréhendé actuellement, consiste à créer les conditions d’un développement économique puissant et durable à partir du jeu des entités publiques. Celles-ci doivent se mettre au service de l’attractivité d’un territoire alors soumis au chômage et à la disparition d’entreprises, afin notamment d’attirer les investissements directs étrangers (IDE). Il ne s’agit donc ni plus ni moins que d’un schéma marxien : nous concevons ce futur espace par le biais d’entités publiques pour soutenir le secteur économique. Qu’en est-il de la consultation de la société civile organisée ?
À mon sens, le projet métropolitain devrait avoir pour ambition prioritaire de faire d’Aix-Marseille-Provence la tête de pont de l’Europe. Il en deviendrait une capitale productrice de sens et de développement économique. Ce constat s’accompagne d’un rêve : la création d’une fédération des métropoles et des îles en Méditerranée. Des services dédiés, au sein de cette structure, interviendraient à trois niveaux : création et accompagnement des entreprises, statut et droit des femmes, place de la jeunesse.
G’. Outils. De quels outils cette métropole-là a-t-elle besoin pour fonctionner ?
A.C. Je pense à un dispositif démocratique et original : impulsons un conseil regroupant les créateurs de richesses économique, culturelle et sociale du territoire, dont les avis ne seraient plus facultatifs mais impérieux. Ce nouvel interlocuteur aurait l’obligation de produire, deux à trois fois par an et sur des sujets préalablement déterminés, des propositions ensuite soumises au vote de l’assemblée politique métropolitaine.
G’. Imaginaires. L’imaginaire métropolitain : que vous évoque cette expression ?
A.C. Deux lectures sont ici signifiantes et complémentaires, à savoir l’imaginaire interne et l’imaginaire externe. La première repose sur une opposition frontale : les peurs et les fantasmes face à un imaginaire dit « de clochers ». Elle associe ainsi Marseille à la pauvreté, à l’insécurité, au danger, à l’irrévérence ; et colore les villages (Aix, Aubagne, Salon de Provence, etc.) d’ententes cordiales. La deuxième répond aux composantes utilitaires de l’imaginaire : qu’est-ce que nous allons projeter de nous que nous souhaitons que les autres imaginent ? Tout groupe humain se représente lui-même. La métropole d’Aix-Marseille-Provence souhaite-elle s’associer à l’excellence aixoise, son droit, son université, son opéra ; ou bien au partage marseillais, lieu de tous les possibles ?
Et cette question est plus que profonde : « les illusions ont toujours des effets qui ne sont pas illusoires », comme le disait Régis Debray. Des moteurs et des dynamiques s’enclenchent bel et bien à la vue de ces images, encouragés en cela par deux ambitions une fois encore contradictoires. La quête d’unité donne la prime à ce qui nous rassemble, ce qui nous sépare n’a plus voix au chapitre ; l’unicité poursuit le respect des différences au service d’un objectif commun. À l’évidence, la future métropole est déjà secouée par ce choc des imaginaires.
Ce que GoMet’ en retient
Du point de vue d’Alain Cabras, la métropole fait aujourd’hui davantage obstacle qu’elle ne facilite les échanges. Son identité s’est construite sur des oppositions entre Marseille et le Pays d’Aix. Le projet métropolitain devrait, s’appuyant aussi sur la société civile organisée, poursuivre l’ambition de faire du territoire un acteur central d’une future fédération des métropoles et des îles en Méditerranée. Or, les imaginaires aixois et marseillais poussent, une fois encore, ces espaces dans des directions contradictoires.