[Publié le 15 octobre dans Le Digest Hebdo n°78] A l’Estaque, les habitants sont très inquiets de connaître l’avenir des futurs terrains des quais de la Lave. « Cela fait plus de dix ans qu’on nous promet de le rouvrir au public avec un accès à la mer », peste Marie-Blanche Chamoulaud, la responsable des comités d’intérêt de quartiers du 16e arrondissement. Si le quartier peut offrir une image de carte postale aux touristes avec son port de plaisance et ses airs de village, son destin est intimement lié à celui des activités du grand port maritime.
L’emprise de ce dernier empiète largement sur l’espace public. Alors quand le port a lancé son appel à manifestation d’intérêt (A.M.I) pour l’aménagement de plus de 13 000 mètres carrés en bord de mer, ils ont sauté sur l’occasion pour tenter de regagner un peu de terrains. Seulement, le port ne compte pas céder cet espace gratuitement. « On a déposé un dossier avec Cap au Nord pour en faire un lieu public avec des aires de jeux, un accès à la mer pour tous. Mais on ne se fait pas d’illusion, nous n’avons pas les mêmes arguments que certains gros promoteurs », avoue Marie-Blanche Chamoulaud. De son côté, le port continue d’étudier les différents projets déposés mais refuse d’en dire plus sur leurs contenus. Il devrait faire une première sélection dans six semaines avant de présenter le projet final l’été prochain. En attendant, certains candidats ont décidé d’avancer à visage découvert pour discuter avec les habitants.
L’institut Paul Ricard joue la transparence
Mercredi 10 octobre, Patricia Ricard, la petite-fille de Paul Ricard et présidente de l’Institut océanographique du même nom, s’est rendue à l’Estaque pour présenter son projet aux habitants. Elle souhaite installer un prototype de ferme aquacole innovante utilisant les principes de la permaculture (Le Digest Hebdo n°77). Cette fervente défenseur de la planète cherche un moyen de produire du poisson sans émettre de gaz à effet de serre. « Aujourd’hui, le principal problème de l’alimentation est le transport par bateaux ou en camion frigorifique très polluant. On veut remplacer la chaîne du froid par la chaîne du vivant », raconte Patricia Ricard. Son institut travaille sur le sujet depuis un petit moment dans les laboratoires des Embiez. Les chercheurs tentent de nourrir les poissons avec des farines d’insectes. A l’Estaque, il voudrait créer un cercle qui reproduirait l’écologie naturelle avec du compost, alimenté par les habitants du quartier, qui alimenterait un jardin partagé qui accueillerait les insectes pour nourrir les poissons.
L’institut a fait appel aux services de l’entreprise aixoise Sunpartner pour développer un serre photovoltaïque qui accueillerait ses fermes. « Une serre permettrait de nourrir 50 personnes par jour environ », explique Patricia Ricard. Pour répondre à l’A.M.I du port, il s’est associé avec des acteurs locaux comme Intermade, la couveuse d’économie sociale et solidaire, Pikaia, l’entreprise d’Emmanuel Delannoy (fondateur de l’institut Inspire), le restaurant le Présage, l’association pour la pêche et les activités maritimes durables (Apam), l’entreprise Ecocéan et la cité de l’agriculture. Ils ont pour l’occasion créé le collectif « Lave » pour Laboratoire d’adaptation ville environnement. Le projet a également obtenu le soutien de la fondation Veolia qui finance nombres des recherches de l’institut. Cette dernière a déjà versé 300 000 euros pour la recherche sur l’alimentation à partir d’insecte. En fourchette basse, le programme coûterait au moins 1 million d’euros et l’institut compte sur des aides européennes : « On rentre parfaitement dans les cases des fonds de financement européens et mondiaux », assure Claire Lemoine, spécialiste de la recherche de fonds européens associée au projet.
Si Patricia Ricard s’intéresse tant à l’Estaque, c’est pour son emplacement idéal au bord de mer mais aussi en ville. « Nous avons besoin de vous pour ce projet. Cette inclusion urbaine est essentielle et vous en serez des acteurs à part entière », répète à l’envi Patricia Ricard. Face à cet appel, les habitants restent perplexes. « On veut juste savoir si on pourra se balader sur la digue et avoir accès à la mer », se demande un participant à la réunion. « Nous sommes là pour le voir ensemble. On est en mode adaptation. Aux problèmes climatiques comme aux besoins des riverains », répond la présidente de l’institut. La ferme aquacole n’occuperait pas l’ensemble des 13 000 mètres carrés concernés par l’appel d’offre. Elle s’intéresse surtout au bâtiment le long de la digue avec un peu de terrain pour ses jardins partagés. Une cohabitation avec le projet des habitants semble donc possible. Mais comme le précise le port, il pourrait également être complété par d’autres activités économiques plus envahissantes. Outre l’institut Paul Ricard, d’autres entreprises lorgnent le fameux terrain.
Eiffage veut installer un hôtel et des bureaux
« On ne veut pas d’une nouvelle usine ou d’une affaire de gros sous », prévient Marie-Blanche Chamoulaud. A priori, le port ne souhaite pas installer d’activités industrielles potentiellement polluante. Par contre, il compte bien rentabiliser la cession de son espace et de gros promoteurs sont déjà en lice pour lui faire des propositions alléchantes. Le groupe Eiffage a confirmé qu’il avait déposé un dossier pour le quai de la Lave. Il s’agirait d’un projet immobilier avec une résidence hôtelière et des bureaux. D’autres acteurs immobiliers sont également en lice. Marinetech, une entreprise spécialisée dans les technologies marines de Signes dans le Var, a été approchée par des architectes pour rejoindre un groupement porté par un promoteur. « Mais ils demandaient qu’on signe un contrat d’exclusivité. De plus, je ne voyais pas la plus-value de m’associer à un gros projet immobilier », explique la directrice de Marinetech. De son côté, elle a déposé un dossier pour installer un démonstrateur de son module de production d’eau potable fonctionnant à l’énergie solaire. Elle n’aurait besoin que d’un petit accès à la mer et de 75 mètres carrés de surface.
D’autres candidats présents depuis longtemps à l’Estaque se sont également positionnés. Le centre de thalassothérapie des Bains de mer situé à quelques dizaine de mètres du quai de la Lave verra son autorisation d’occupation temporaire arriver à son terme en 2023. « J’ai entendu parler d’un projet d’extension du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) dont le bâtiment est collé au nôtre », explique Bernard Coste, le gérant des bains de mer qui se sent menacés et voit dans les terrains de la Lave son dernier espoir. L’entreprise d’accastillage Servaux, implantée à l’entrée du village de l’Estaque, est également intéressée pour s’étendre sur le terrain. Enfin, certains associations de voiliers ont aussi candidaté car selon eux, la mairie a prévu de les faire déménager à cause des Jeux Olympiques de 2024.