La nuit épaisse tombe sur Les Pennes-Mirabeau. Cela fait longtemps déjà que les ruelles sont vides, sur les hauteurs de la ville. Plus bas, vers le Chemin de la Ferme qui mène à la salle Tino Rossi, les coiffeurs se tournent les pouces et s’apprêtent à fermer boutique. Un air de samba s’échappe du bar Le Pennois, au-dessus, sur l’avenue Marcel Liotard, et parvient jusqu’aux cars défrayés de Vitrolles, qui déversent des militants devant la salle. Pour croiser du monde, il faut donc descendre un peu plus bas. Sur le terrain de sable en contrebas de l’école primaire Castel Hélène, quelques boulistes terminent leur partie avant que le soleil ne se couche. « Je m’en fous moi de Guérini, je suis concentré sur les boules », lance l’un d’eux, en riant. À quelques mètres, près d’un millier de militants chauffés à blanc s’agglutinent, dans l’attente religieuse leur chef.
Ce soir de novembre, Jean-Noël Guérini vient acter officiellement la transformation de son association, « La Force du 13 », en parti politique. Ici, il est en territoire ami. L’édile de la commune de 20 000 habitants s’appelle Michel Amiel. Son cabinet de médecine générale est copieusement rempli, tout près, avenue Victor Hugo. En rupture de ban avec le PS depuis que le gouvernement s’est entêté à “imposer” une métropole, il vient d’être élu sénateur sur la liste de Guérini en septembre. Et accueille celui qui soutient férocement sa commune, grâce aux aides du Conseil général. D’ailleurs, des pancartes bleu et blanche parsèment la ville et rappellent qu’ici, l’assemblée départementale a participé à l’enfouissement des réseaux électriques, à la rénovation de la médiathèque Albert Camus ou bien encore celle des sanitaires de l’école primaire…
“Il est toujours là quand les gens ont besoin de lui”
“Guérini, c’est le sauveur de Marseille”, indique un des militants qui s’engouffre dans la salle pleine à craquer. Doudoune militaire sur le dos, la barbe de trois jours, il a adhéré au PS à 28 ans, et vient de le quitter il y a deux ans. À 42 ans, il ne veut pas donner son nom. À peine dit-il qu’il habite dans le 13ème arrondissement de Marseille : « Des affaires, tout le monde en a, balaie-t-il. Moi, j’ai été fidèle à Guérini, je le reste, parce que c’est le dernier des socialistes. Il est toujours là quand les gens ont besoin de lui. » La phrase revient souvent chez les soutiens de l’ancien patron local du PS, plusieurs fois mis en examen. «Tout le monde le critique mais il est comme ça !», fait une dame, elle aussi sous couvert d’anonymat, en dressant son pouce vers le haut. “C’est le seul à pouvoir faire changer les choses. Mais ici on ne fait pas de la politique, c’est une réunion entre amis”, assure-t-elle.
Pourtant, Jean-Noël Guérini en fera de la politique ce soir là. Arrivée triomphale, telle une rock star, au son de Martin Solveig, il embrasse tout le monde comme du bon pain. Les dames adorent. L’une d’elle tend même une pancarte “Jean-Noël, on t’aime”, teintée de rose. Sur la tribune drapée de bleu, blanc et rouge, les slogans “Faire gagner les Bouches-du-Rhône” s’affichent, immenses, derrière le pupitre. Guérini jubile : les adhérents ont décidé “à l’unanimité” de transformer “La Force du 13” en parti politique. Il peut désormais s’engager dans les batailles électorales à venir. Parmi l’assemblée, les socialistes vont désormais devoir choisir entre les deux appartenances… “Je ne regrette rien de mes 40 ans de militantisme, indique Guérini. J’ai rencontré des gens exceptionnels. Mais je n’ai pas de leçons de morale à recevoir de ceux qui ont envoyé le FN à la mairie du 13/14 à Marseille…”
“Ils n’ont pas le début d’une preuve contre moi”
Le discours est rodé, ritualisé. Guérini attaque “les énarques et leur diktat”, “l’odieuse campagne médiatique” qui s’est abattue sur lui, et termine enfin sur “l’instruction judiciaire uniquement à charge” qu’il a eu à subir. “Il n’ont pas le début d’une preuve contre moi”, croit-il, alors que le jugement de son premier procès sera rendu en décembre, à propos du licenciement de son ancien collaborateur Jean-David Ciot. À grands renforts de gestes, Guérini veut montrer qu’il ne coule pas, au contraire. Et ne craint personne. Créer un parti, c’est justement s’inscrire dans la durée. Il pense déjà à sa succession et fait de la jeunesse sa priorité. La preuve ? “La Force du 13″ va investir Roxane Calafat dans l’ancien canton de Michel Amiel, aux Pennes-Mirabeau, aux côtés du président de l’Union des maires Georges Cristiani. [pullquote]”Transformer Marseille, oui, mais pas à n’importe quel prix ! La métropole, ce sera moins de démocratie, moins de proximité et plus d’impôts”.[/pullquote]
Son discours, Guérini l’a voulu quasi présidentiel. Pendant une heure et demie il égraine ses propositions, tant au niveau local que national. Attaque François Hollande, qui n’a rien changé. Et son ancien Premier ministre : “Où sont les milliards promis par Jean-Marc Ayrault pour Marseille ? Disparus, évaporés !”. Il dénonce successivement la “folie”, puis la “bêtise”, le “mépris”, la “désinvolture” et enfin le “mensonge” qui colle à cette métropole d’Aix-Marseille-Provence, qu’il affuble de tous les maux. “Transformer Marseille, oui, mais pas à n’importe quel prix ! La métropole, ce sera moins de démocratie, moins de proximité et plus d’impôts”, menace-t-il. Qu’importe si c’est en partie faux :
Lire notre infographie : “La métropole va-t-elle augmenter nos impôts ?”
“Il faut penser local contre Paris et la métropole”, termine-t-il. Si Jean-Noël Guérini se croit invincible, c’est qu’il est encore largement soutenu localement par des élus qui ont besoin de lui. Assis aux premières loges dans la salle Tino Rossi, de nombreux maires 119 du département, parmi la centaine qui s’oppose encore à la création de la métropole. Daniel Fontaine, ex-maire PCF d’Aubagne, côtoie ce soir là Lisette Narducci, maire PRG des 2/3e arrondissements de Marseille, mais aussi Rémy Fabre, maire de Sénas, Georges Rosso, maire du Rove… “Les communistes sont loin d’être des ennemis”, confirme Michel Amiel, qui savoure, au premier rang : “C’est un grand succès, une mobilisation très prometteuse, estime-t-il. On ne ferme la porte à personne mais on en est pas encore à la question des alliances”. Pourtant, la majorité départementale commence déjà à se mobiliser derrière son président. Le 4 novembre, 22 conseillers généraux ont déclaré leur soutien à une large alliance PS, Force du 13, Front de gauche. “Ma majorité s’est mise au service des maires sans aucune contrepartie, jure Guérini, qui a simplement pris acte de leur décision. On n’impose rien aux maires : ma méthode, c’est la discussion”. [pullquote]« Les communistes sont loin d’être des ennemis, confie Michel Amiel. On ne ferme la porte à personne mais on en est pas encore à la question des alliances »[/pullquote]
Localement, un homme a tout de même brisé l’omerta. Pierre Orsatelli, un des fondateurs du collectif Renouveau PS 13, – un groupe de militants socialistes farouchement antiguériniste – est prêt à se lancer dans la bataille dans le canton acquis aux Guérini depuis 63 ans (Jean-Noël Guérini à succédé à son oncle en 1982), alors que le PS se divise sur l’attitude à adopter. “Vous verrez, il y aura quelques surprises dans les autres cantons”, promet Guérini, qui annonce que «La Force du 13» pourra aussi soutenir des socialistes sortants, “à condition qu’ils adhèrent à la ligne” de son parti. Il le jure, sa démarche est celle de la “pérénité” : “Ni droite, ni gauche, ni centre, ce sera un parti qui fédère. Il n’y aura ni confusion ni manoeuvres. Nous combattrons sans accords de façades”. Aux régionales, Guérini assure qu’il pourra présenter des candidats dans tous les départements de la Région Paca. “Il y aura la Force du 06, du 84, du 83. On s’arrêtera aux législatives comprises…”, rêve-t-il tout haut. Sauf si la justice en décide autrement entre temps.
(Crédit photo : Jérémy Collado)