C’est un invité d’honneur encore dans la tourmente qu’a choisi d’inviter la Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-en-Provence pour sa traditionnelle remise des prix aux étudiants mercredi 24 février. Président de l’Observatoire de la laïcité depuis 2013, Jean-Louis Bianco a ainsi donné une conférence en préambule de l’événement, et distribué certains prix. En janvier, il a été au coeur d’une vive polémique qui l’a ébranlé à la tête de l’institution.
Le Premier ministre Manuel Vals a reproché à M. Bianco d’avoir signé une tribune intitulée « Nous sommes unis », parue dans Libération le 15 novembre 2015 « pour condamner le terrorisme », après les attentats du 13 novembre. « On ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme », aux côtés d’organisations qui participent à un « climat nauséabond », avait alors attaqué Manuel Valls. La tribune en question avait été signée par 80 personnalités parmi lesquelles des militants réputés proches des Frères musulmans.
Suite à la polémique, 150 universitaires et chercheurs ont adressé, fin janvier, une missive au président de la République en soutien à Jean-Louis Bianco. À noter qu’un enseignant de la Faculté de Droit et de Science Politique figure parmi les signataires. Mais ni le doyen Philippe Bonfils, à l’initiative de l’invitation, ni Yvon Berland, président de l’Amu n’ont signé cette lettre.
Rappeler ce qu’est la laïcité
« La laïcité a été mise à rude épreuve ces derniers mois » rappelle Yvon Berland, le président d’Aix Marseille Université dans son discours introductif. Jean-Louis Bianco a ensuite pris la parole sur ce thème. Il a choisi de le faire en trois points: un historique de la laïcité en France, une définition et un état des lieux actuel.
Dans son historique, l’ancien ministre socialiste et secrétaire général de l’Elysée sus François Mitterrand explique que la laïcité naît avant la grande loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat. Si le terme apparaît pour la première fois dans la Constitution de 1946 de la IVème République, ses prémices sont visibles dès la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Le mariage civil en 1792, les lois de Jules Ferry et d’autre textes sont autant d’étapes qui amènent celle de 1905. « C’est une loi fondatrice de compromis, de réconciliation » développe-t-il. Puis arrive la période contemporaine et l’apparition de l’islam dans le débat public. « Jusqu’à récemment, le débat tournait autour du catholicisme. Depuis l’affaire du foulard de Créteil en 1989, la religion musulmane a pris cette place ». Puis viens la loi du 15 mars 2004 sur l’interdiction du port d’une tenue manifestant ostensiblement l’appartenance à une religion dans l’espace public.
Une définition nécessaire de la laïcité
« La majorité des citoyens est pour la laïcité mais une grande majorité ne sait pas ce que c’est ». « Ce n’est pas une option » tonne-t-il, « c’est le principe d’organisation de notre vie collective qui se traduit par des règles juridiques ». Il lie ainsi directement la laïcité aux trois mots de la devise républicaine. Liberté de croire ou ne pas croire, Égalité avec la neutralité des agents publics qui permet un traitement équitable de chaque citoyen et Fraternité en « conditionnant les différentes sources de richesses culturelles à condition qu’elles soient rassemblées dans la citoyenneté ». Point fort de son argumentation et référence à la position du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, Jean-Louis Bianco estime que la loi n’a pas besoin d’être amplifiée. Elle a besoin d’être respectée « avec fermeté » ajoute-t-il.
La place de la laïcité dans notre société
Si le tribun enfonce une porte ouverte en clamant que « notre société va mal, elle est en perte de sens, d’espérance », il ajoute que « dans ce contexte, la laïcité est invoquée en dernier recours ». « Il se développe une méfiance de l’Islam, c’est un fait. On n’a peut être pas assez entendu les musulmans de France ». Le président de l’Observatoire de la laïcité évoque la parution le 29 novembre 2015 du Manifeste des musulmans de France dans lequel est écrit que « le pacte républicain constitue le centre sur lequel est bâtie la société ». « On ne peut pas dire mieux, encore faut-il le diffuser ! » Le discours s’achève sur cette phrase, à méditer, de Jean Jaurès en 1904. « La République doit être laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale ».