Les citoyens ont parlé lors du premier tour des élections régionales. Mais dans les urnes, il n’y a pas que des bulletins. Il y a aussi des cendres. Aujourd’hui de nombreux Provençaux ou Méditerranéens portent le deuil d’une certaine idée de la démocratie. Les trente dernières années qui ne furent pas glorieuses dans cette région laissaient entendre l’apocalypse. On y est.
Y avait Paca
La région Paca – si mal nommée que Michel Vauzelle le président sortant voulait changer son appellation – a depuis 1976 réuni, et c’est sans doute unique, dans l’Hexagone une diversité extraordinaire. Des Alpes aux îles, du delta du Rhône à la frontière italienne elle propose une incroyable palette où la flore et la faune ont attiré à travers les siècles moult civilisations, Phéniciens, Celtes, Gaulois, Romains… et plus récemment les migrations du sud, de l’est ou encore du nord. Ces incroyables atouts, cette richesse potentielle, ces promesses à venir sont percutés depuis dimanche par une nouvelle donne. Le FN national, représenté par une jeune femme qui cache partie de son patronyme sur ses bulletins de vote derrière un prénom plein de promesses – Marion – est le grand vainqueur de ce premier tour. Quels sont donc les signaux que l’on a pas su déceler ou voulu voir ?
Naufrage de la gauche
La gauche a quasiment disparu depuis vingt ans dans les Alpes-Maritimes et le Var. L’opulence ne fait pas bon ménage avec le prolétariat. La côte d’Azur a perdu de La Ciotat à Menton les quelques fiefs historiques où le parti communiste et le PS survivaient. A La Seyne-sur-Mer seuls subsistent des rails qui naguère couraient jusqu’au chantier naval et une avenue Stalingrad qui s’appela longtemps Staline. La gauche des Bouches-du-Rhône est incapable de reprendre son souffle, ses anciens leaders attendant, dans les coulisses de la Justice, le sort qui sera fait à feue leur gouvernance, balançant entre clanisme mortifère et clientélisme « cacouphile ». Un Michel Pezet (ancien président de Région) appelait dimanche soir à faire barrage au FN. Un œil dans le rétro et armé d’une lucide introspection, il aurait pu dire aussi à ses camarades pourquoi ils en sont arrivés là. Dans les Alpes (Alpes de Haute-Provence et Hautes-Alpes) Castaner a fait mieux que résister mais que pèsent des départements dépeuplés. Enfin dans le Vaucluse l’extrême-droite quel que soit son nom est définitivement enkystée. Questions : comment vont faire les agriculteurs avec leurs contingents de saisonniers immigrés ?
Le terrible terreau
Il ne faut pas être un fin analyste pour constater que dans les Bouches-du-Rhône, le FN prospère où la misère sociale perdure. Les scores vertigineux de Marignane et Vitrolles (Marion Maréchal Le Pen flirte ou dépasse les 50%) sont, à eux seuls, très éloquents. Pourtant la deuxième ville a été reconquise par les socialistes et il semblait loin le temps où Mme Mégret était accueillie avec un bouquet de fleur (2002) par la maire d’Aix, Mme Joissains, au sein de la communauté du Pays d’Aix. Là encore les discours locaux sont inaudibles et les urnes ont été bourrées de bulletins qui suintaient la peur, la méfiance de l’autre, le refus de la différence, le progrès. Chez les Républicains on dira que c’est le premier des Français qui est responsable de la situation. A gauche on visera le Premier ministre et son ombre portée Emmanuel Macron trop éloignés des réalités de terrain. Au FN on se réjouira tout tranquillement de ses dissonances qui font gonfler sa vague.
L’usure du pouvoir
Tous les partis ont pris un coup de vieux. Pas seulement à cause de Marion Le Pen Maréchal qui apporte sa fraîcheur à des idées qui ne le sont pas tout à fait, mais d’abord parce qu’aucun n’a su préparer la relève. Jean-Claude Gaudin bien évidemment qui a du mal à quitter le fauteuil où, avant lui, Gaston Defferre a régné sans partage. Mais avec lui tous les professionnels de la politique qui interdisent – de Falco à Ciotti, d’Estrosi à Joissains – au sang bleu de se régénérer. La liste est longue de ceux qui ont tenté – y compris à gauche – d’apporter leur savoir-faire, leur tempérament, leur talent à cette machine républicaine qui toussait plus qu’elle ne respirait. Les militants ont disparu, les comités de quartiers (lorsqu’ils existent) ont été investis puis verrouillés par les partis, le débat se joue à Paris entre candidats aux primaires présidentielles et leurs états-majors de communicants et de techniciens des sondages. La démocratie est un mot tellement usé que Marine Le Pen peut se l’arroger sans être contredite outre-mesure.
Le FN mais encore
Ne l’a-t-on pas entendue cette phrase : « le FN pose les bonnes questions même si ses solutions ne le sont pas ! » Elle est dépassée, caduque. Aujourd’hui comme dans cette belote marseillaise appelée « l’enculette » et où, nous dit-on, tous les coups sont permis, un certain nombre d’électeurs jouent et veulent voir. Inutile de perdre son temps à leur signaler que dans l’entourage immédiat de la députée Marion Maréchal Le Pen, on trouve des membres du « bloc identitaire » plus proche de la dialectique du manche de pioche que du débat ouvert et libre. Superflu de faire remarquer que la même élue est partisane de la Manif pour tous, contre le Planning Familial, et, que l’Action Française sur son site se multiplie en louanges. Utopique l’idée de vouloir faire entendre que celle qui caracole en tête du premier tour a des comptes à régler avec les médias et qu’elle s’y est engagée publiquement à plusieurs reprises. Quoi qu’on dise ses électeurs sont convaincus qu’elle fera reculer l’immigration, l’insécurité, le terrorisme, qu’elle endiguera le chômage, qu’elle sortira de l’Europe coupable de tous les maux, qu’elle marchera sur l’eau et multipliera les pains. Ainsi soit-il !
Cassées les voix ?
A l’exception d’un Richard Martin (notre photo) qui la veille du scrutin, a préfacé, avec une belle intervention désespérée au Toursky, une représentation de l’Opéra de quatre sous de Brecht, les voix des intellectuels sont réduites à un silence assourdissant. Où sont les Weber (Nice), Berling (Toulon), Preljocaj (Aix)… et même si son passage sur les planches et au cinéma ne nous permet pas de le classer parmi eux d’un Bernard Tapie qui naguère traitait les électeurs du FN de « salauds ». En ce temps-là il est vrai qu’il nourrissait des ambitions politiques et ne possédait pas de journaux. Bref comme on le dit sur une télé régionale la voix est libre pour le FN et l’information télévisuelle continue est, avec les réseaux sociaux, une voie royale pour les petites phrases guillotines et l’immédiateté, un alibi tout trouvé pour éviter les fastidieuses et périlleuses explications.