Les Mickey veulent respirer.
« Les USA ont Donald Trump, Marseille a Jean-Claude Dingo ». Ainsi s’amuse un Marseillais, en passant le journal du jour à son voisin, sans crainte de devoir des droits d’auteur à Walt Disney. Cela s’appelle la rançon du manque de gloire, d’avoir déclaré, il y a un an, que la pollution était, somme toute, « naturelle ». Et qu’un coup de mistral pouvait « balayer » en un souffle puissant, ces particules fines qui empoisonnent la vie des habitants de la deuxième ville de France. Un pic a été particulièrement sévère au milieu de cette dernière semaine, et se sont combinés en un cocktail ravageur les pollutions industrielles et automobiles avec un gros zeste de pollens pour accabler les bronches. La pollution est aujourd’hui en France la troisième cause de mortalité. Les élus locaux ont pris la mauvaise habitude de s’en remettre à l’Etat (en d’autres matières aussi) pour régler la question. Dans le même temps, ils claironnent urbi et orbi, les bons chiffres des croisières que ne masquent à leurs yeux pas la pollution des paquebots. Ils construisent des parkings au centre-ville, alors qu’il est urgent de les cantonner à la périphérie. Ils favorisent les transports individuels, alors que les dessertes en commun sont faméliques, notamment pour les quartiers les plus pauvres. A coup de 200 pochoirs, Greenpeace leur a rappelé qu’il était urgent d’établir un « calendrier de sortie de l’ensemble des véhicules polluants et un dispositif solide d’aides au changement de véhicule/de mode de transport pour les professionnels et les ménages qui en ont besoin ». Le député LREM, Said Ahamada, abjure le maire de ne pas attendre la « loi sur les mobilités » pour prendre, comme Paris, Lyon, Toulouse, les mesures qui s’imposent. Gaudin n’entend rien. Sans doute à cause des moteurs mal réglés des deux roues, qui échappent, depuis longtemps, aux sonomètres censés les réprimer et qui l’empêchent de percevoir le cri des Mickey en colère.
Les gilets jaunes refusent l’autoroute
Ce n’est pas un hasard si on les retrouve sur les ronds-points (Fos, Arles) ou plus encore aux péages des autoroute (St Maximin, La Ciotat, Bandol). Les gilets jaunes sont issus de ces classes sociales – périurbaines ou rurales – qui ne se sentent pas concernées par les directions, vers lesquelles fonce notre société dite moderne. Ce nouveau monde et son progressisme ne les concernent pas, en premier lieu parce qu’on les a ignorés. Que pesaient en effet pour la sphère politique, ou ceux qu’on appelle les dirigeants, ces 2% de paysans ayant survécu aux tsunamis du dernier siècle ? Comme ces pourcentages mal évalués qui ont rejoint cet espace mal identifié entre champs et villes. Jean Viard, en sociologue attentif, a parfaitement cerné, comme il l’a encore fait récemment sur la 5 (CPolitique du 23 février), les conséquences de cet abandon. Michel Serres, du haut de ses 88 ans et de sa sagesse, loin de nous rassurer se dit lui, dans la Dépêche du midi, incapable d’imaginer la sortie de cette crise inédite. A les approcher, on se rend compte que les gilets jaunes sont une somme de désespérances individuelles avérées et de haines palpables. Leur entêtement à ne pas accepter de porte-parole, à ne pas vouloir hiérarchiser leurs revendications, à refuser obstinément tout dialogue qui relativiserait leurs aspirations, débouchent inéluctablement sur une impasse. Longtemps les communicants ont imposé leurs lois aux politiques : être audibles, télévisuels, prégnants. Les gilets jaunes rappellent, à ces mêmes élus, ce que Michel Rocard appelait en son temps : le pays réel. Il n’est certes pas le monde, mais il en fait partie. Et serrer des pognes ne suffit plus à stopper sa grogne.
Parachutage ou non, est-ce bien la question ?
Elle y songerait en s’épilant les sourcils le matin ? C’est le murmure qui parcourt l’échine de certains « marcheurs ». Et si c’était Marlène Schiappa. La très médiatique secrétaire d’Etat à l’égalité hommes-femmes ferait, selon une poignée de supporters marseillais, une excellente candidate à la mairie de Marseille. Dans le même camp, on entend des bémols pour rappeler que la ville n’est pas très sensible aux parachutages. Vieilles rengaines déjà entendues, ici comme ailleurs. A Aix par exemple où, au début des années 2000, l’on évoquait le nom de Florence Parly, actuelle ministre de la Défense. Comme on rappelle à l’envi les mésaventures des Thierry de Beaucé (il avait renoncé à se présenter pour la droite contre le socialiste Picheral) ou de Jean-Bernard Raimond. Pour ce dernier, quelques piliers de bars s’amusent encore de la blague selon laquelle l’ancien ministre des Affaires Etrangères de Jacques Chirac s’interrogeait sur un certain « Dégun. » Il ne comprenait pas, s’esclaffent encore ces militants, quand on lui déconseillait tel ou tel endroit, sous prétexte qu’il y avait dégun. Pour Mme Schiappa, ses partisans glissent comme un argument massue qu’elle a des racines marseillaises. Mais la question est-elle vraiment là, alors qu’un Renaud Muselier (LR) rappelle que le maire sortant a fait deux mandats de trop. Soit, en creux, plus de dix ans à rattraper, avec un projet solide pour sortir Marseille des profondeurs de nombreux classements. Ce n’est pas un « nom » qu’attendent ici ceux qui sont au fond du trou social, économique, culturel. C’est un « non » définitif au fatalisme ambiant. Cette culture méditerranéenne du « fatum », que décrivait si bien l’écrivaine Edmonde Charles-Roux. Mais la devise de Marseille « Actibus immensis urbs fulget Massiliensis » (la ville retentit de ses hauts faits) reste d’actualité. Elle attend ses héros.
Marseille et eux : un débat pour penser la ville
Il y a eu le 5 novembre, et la douleur infinie de ceux qui ont tout perdu, y compris des vies, et qui doivent aujourd’hui tenter de se reconstruire. D’abord parce que leur quartier, leur maison, leur vie passée n’est que tas de ruines. Ceux qui ont eu la douloureuse expérience d’approcher les sinistrés de Nîmes, Vaison-la-Romaine, Draguignan, savent combien il est chaotique le chemin qui s’ouvre aux victimes des catastrophes naturelles ou non. Rue d’Aubagne vient s’ajouter la colère sourde et longtemps réprimée, des laissés-pour-compte, martyrs de l’injustice, de l’impéritie des édiles, de l’indignité de certains comportements. Marseille et moi et son président Aldo Bianchi, organisent le 6 mars prochain à partir de 18h30 au Théâtre de l’œuvre, un grand débat qui a pour ambition notamment de dénoncer le fossé qui existe entre la ville « rêvée » par quelques spéculateurs actifs, et la ville « nécessaire » ignorée par une majorité inactive. Le rôle de la métropole sera décisif pour en finir avec cette communication qui masque « l’envers du décor ». Francis Ampe, ingénieur et urbaniste, Karima Berriche, du syndicat des quartiers populaires de Marseille, Jean-François Cerutti président d’un « Centre-ville pour tous » et Kevin Vacher sociologue, ouvriront des pistes pour tenter de dessiner un destin aux 2000 délogés et aux milliers de mal-logés marseillais. (Théâtre de l’œuvre, 1 rue Mission de France 13001. Métro-Tramway Noailles Garibaldi)
Pas de bras, pas de chocolat
Y aurait-il similitude d’ADN entre les territoriaux ? Laissons la réponse aux scientifiques, mais constatons cependant la ressemblance des situations entre la mairie de Marseille et le Conseil régional. Renaud Muselier, le président de ce dernier, doit faire face à un mouvement social qui ressemble, à s’y méprendre, à ceux qui ont émaillé la vie municipale depuis des mois. Les territoriaux de la Région arguent d’une absence de dialogue avec le directeur général des services. Mais au-delà des relations humaines, c’est la cause de l’achoppement qui interpelle : il est question en effet d’absentéisme. Et d’adopter une décote de la prime de fin d’années allouée aux 6000 agents, à compter du 6e jour d’absence. Là encore notre territoire se distingue par des records, puisque l’absentéisme serait deux fois supérieur à celui des autres régions. On n’évoque pas encore, comme FO à la mairie, le stress lié à cette situation, mais FSU et CGT qui mènent le bal porte d’Aix sont vent debout contre cette mesure « scélérate ». Muselier qui a fustigé le laxisme du maire en matière de gestion du personnel, a donc l’occasion de démontrer le contraire avec l’institution qu’il préside ? Pour l’heure il a choisi d’écouter, ce qui ne signifie pas qu’il finira par s’entendre avec les syndicats.
Le jaune, la couleur suprême
Du plus profond de sa détresse, il affirmait que le jaune était « la clarté suprême de l’amour ». Il l’écrivait dans une lettre à son ami, artiste peintre comme lui, Emile Bernard. Vincent Van Gogh était un homme heureux, lorsqu’il a rejoint Arles. Il comptait bien aller jusqu’à Marseille, car les bouquets de Monticelli qu’il avait découverts à Paris chez son marchand d’art, l’avaient subjugué et il aspirait en être le digne héritier. Il ne vint jamais jusqu’au Vieux-Port pourtant et il repose à Auvers sur Oise où « les parfums ne font plus frissonner ses narines ». Le jaune – décidément à la mode – sera à la fête jusqu’à la fin de l’année aux Carrières de Lumières (1) des Baux de Provence, puisqu’on y évoque Van Gogh et ses chefs d’œuvre. Ces catacombes lumineuses conviennent bien à ce génie de la couleur, d’autant qu’un des concepteurs de cette évocation virtuelle, Gianfranco Iannuzzi, confesse avoir voulu « entrer dans la tête de Van Gogh ». Avec quelques moyens techniques appropriés, les concepteurs ont fait des miracles. Ils attendent plus de 500 000 visiteurs. Les responsables de la culture marseillaise devraient s’en inspirer. A l’heure où d’importants travaux visent à réhabiliter le jardin des vestiges au Centre Bourse, il aurait été astucieux d’utiliser les vitrines qui longent cet important chantier et de redonner ainsi la parole à l’antique et un coup de pouce à la zone de chalandise en souffrance.
(1) : Ouvertes tous les jours jusqu’au 5 janvier 2020