Un passé commun à creuser
Les pelleteuses ont commencé à faire leur travail, avenue de la Corderie. Une résistance plus ou moins politisée tente de s’opposer à l’irréversible. A terme, de nouveaux immeubles vont dominer cette artère et un mouchoir de poche préservé permettra à quelques Marseillais de se pencher ou s’épancher sur un passé Grec plus présent dans la déclinaison d’un adjectif – phocéen – que dans la mémoire collective. A qui la faute ? Il serait un peu facile de pointer du doigt ceux qui dirigent ou ont dirigé la ville. Il est utile de rappeler ici que, lors de l’édification du Centre Bourse et de ses 40 000 m2, les vestiges de l’ancien port et partie de la ville antique, aujourd’hui visibles et qui servent de beau jardin au musée d’histoire ont failli disparaître. C’était il y a longtemps. C’était hier, 1977. Dans une chronique très bien argumentée l’archéologue Xavier Lafon avait déjà posé la question : Marseille, une cité antique sans mémoire ? Le peu de fréquentation des rares sites antiques en témoigne, la ville a peu de profondeur historique. Elle reste un carrefour ouvert au sud comme au nord où décennie après décennie s’épaissit un millefeuille ethnique et culturel unique en France métropolitaine. C’est sa singularité. L’exigence d’enracinement n’en est que plus urgente et plus grande. Elle commence par la reconnaissance d’un creuset commun comme la culture helléniste.
L’union pas la force
[pullquote]Et si certains optaient pour le silence ici, ne les entendrait-on pas mieux ?[/pullquote] L’épisode guignolesque de cette semaine, du conseil des territoires Marseille-Provence, en dit plus long que tous les discours partisans. Les élus de cet outil politique majeur pour le développement de la métropole ont séché une séance de leur conseil au point d’obliger de reporter les débats sur près d’un tiers des délibérations. Acte manqué ou constat d’un manque de prise en compte de la nécessité de jouer collectif. Aujourd’hui l’ensemble des élus repentis ou non rejoignent le chœur des pleureuses pour réclamer au gouvernement d’Edouard Philippe ce que les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls ont promis mais pas donné : quelques centaines de millions pour entamer une politique sérieuse sur la mobilité. L’Union patronale y va du coup, de sa lettre ouverte, pour appeler le Premier ministre à faire ce que ses prédécesseurs n’ont pas fait. A lire ce samedi, les commentaires des élus de droite sur les réseaux sociaux, il ne les a pas rassurés lors de son étape marseillaise. Mais faut-il une fois de plus reprendre l’antienne si souvent entendue dans la bouche des grands élus marseillais : « Paris ne nous aide pas » ? Le grand argentier qu’est l’Etat n’a-t-il pas, en fait, la même attitude envers la Métropole la même posture que Marseille a pour les communes qui se sont associées à elles. Quel écho entend-on dans la capitale lorsqu’on prête l’oreille à ce sud bavard et compliqué ? Une cacophonie ininterrompue, une remise en cause permanente, des spéculations politicardes, mais pas de projet. André Gide, à propos de deux écrivains, disait méchamment « à force de se taire ils finirent par s’entendre ». Et si certains optaient pour le silence ici, ne les entendrait-on pas mieux ?
La révolution discothèque
On passera sur la querelle des chiffres qui a depuis longtemps dépassé le ridicule admissible. Ils n’étaient pas nombreux à répondre à l’appel de la CGT pour la troisième manifestation censée protester contre la loi travail. En fait les Provençaux coincés, une fois de plus à la pause déjeuner, dans leurs véhicules autant que résignés n’ont plus l’air de chercher à comprendre. Alors que des poubelles n’en finissaient pas d’engraisser avec les rats ravis d’une telle aubaine, on a surpris ce dialogue entre deux automobilistes à l’arrêt : « Ô putain mais qu’est-ce qu’il y a encore ? » « Tu le sais toi ? C’est le moustachu qui est venu se faire voir ici ! » On aura compris au passage que pour ces deux-là au moins l’épaisse moustache de Philippe Martinez n’avait pas l’éloquence d’une bonne explication. La confusion des revendications voulues par la centrale syndicale a fait long feu et la démobilisation constatée en est la conséquence. Restait l’ambiance comme on disait naguère dans les boîtes de nuit. Elle était assurée par la camion de la CGT où un prolétaire DJ, avec une sono sur vitaminée, rendait hommage à sa manière à Brigitte Macron. Que venait-elle faire dans cette galère ? On ne le saura jamais, mais la première dame qui a pris fait et cause pour les femmes, aura sans doute du mal par sa prise de parole à atteindre le cerveau des machos syndicaux du Vieux-Port.
Michelet : aller droit au but
[pullquote]En matière de catastrophe l’impossible est toujours sûr[/pullquote]Une majorité de Marseillais sont favorables à la fermeture à la circulation du boulevard Michelet les soirs de match. Pas le maire de secteur Yves Moraine qui explique dans La Provence qu’il n’accepterait l’idée qu’en cas « d’impératif de sécurité, cas particulier ou menace qu’il ne m’appartient pas d’apprécier ». Bien évidemment l’élu argumente en affirmant « on ne peut pas tout faire peser aux riverains ». On comprend bien sûr cette proximité avec ceux qui l’ont élu, mais c’est parier dangereusement. Et l’on peut citer à l’infini les tragédies où le principe de précaution aurait dû s’imposer. Ce qui n’est jamais prévisible, ce sont les mouvements de panique et on peut compter sur quelques imbéciles chez les supporters pour en provoquer. Cette semaine ce fut encore le cas avec un idiot olympique lançant un fumigène à l’adresse de visiteurs portugais alors qu’un public très familial allait et venait. Il y a dans cette ville des rescapés de Furiani qui pourraient témoigner utilement qu’en matière de catastrophe l’impossible est toujours sûr.
Humour un jour, humour toujours
Si Christian Kert (LR) n’a plus de mandat national – il a été battu aux dernières législatives – il a gardé son humour en fin lettré qu’il est. Il lui en faudra puisqu’il a attaqué, et nous l’attendons avec impatience, une biographie de Mirabeau. Ce week-end, il se réjouissait d’être présent à la fête des sorcières qui se déroulait aux Pennes-Mirabeau et se félicitait de la résistance ainsi opposée à la très consumériste Halloween. Cette tradition nous vient rappelons-le de la puritaine Amérique qui permet ainsi une fois l’an à ses enfants de se faire peur et qui les récompense de poignées de bonbons. Dans le village des Pennes point de tout cela mais des sorcières souvent injustement décriées en leur temps alors que leurs confrères, les guérisseurs, avaient droit de cité. M. Kert a aussi apprécié de retrouver lors de cette fête le dernier fabricant de balais qui chaque année vient du Gard voisin pour présenter son savoir-faire et ses produits. Mais on se demande si cette passion de l’ancien député pour ce rendez-vous n’a pas quelque chose du message subliminal : après tout la chasse aux sorcières et les coups de balai sont afférents au monde où il a si longtemps prospéré.
Le miracle des docks
Déjà. 26ème édition de la Fiesta des Suds au Dock. Un beau miracle qui perdure dans un monde de brutes qui fait qu’il est de plus en plus difficile de proposer des spectacles singuliers. Alors que Marseille s’apprête à rougir d’avoir à recevoir Dieudonné au Dôme, il faut applaudir à tout rompre devant l’unité des couleurs multiples et musicales que nous proposent les organisateurs. Et puis s’il est un moment unique, c’est bien celui de la soirée inaugurale où le cortège des pique-assiettes est grossi par celui des élus principalement du conseil général qui subventionne l’événement. La gauche a été remplacée dans ces rangs-là par la droite mais le dévergondage de nos édiles vaut son pesant de cacahuètes. Ils trinquent joyeusement au métissage, à la rage des rappeurs, aux audaces subversives de quelques artistes, toutes choses qu’il conviendra de ne pas rapporter à des électeurs qui tout de même ne les ont pas élus pour cette récréation sauvage. Mais à les voir on sent tout de même qu’ils y prennent goût préférant le hip hop de la jeunesse au tango de leur formation politique. Un bon coup de jouvence une fois par an. Bon Dieu que ça fait du bien avant de rejoindre le vaisseau bleu !