Il faut converger…
Lorsque Bernard Tapie a fait ses premiers pas en politique, à Marseille à la fin des années 80, il a vu converger vers lui toutes sortes de sollicitations de la part des électeurs de la circonscription qu’il convoitait. Qui voulait des places pour l’OM. Qui appelait d’urgence la mise en place d’un réseau de télécommunication pour en finir avec une zone d’ombre à la Rouvière. Qui souhaitait ardemment que l’on crée une maison des rapatriés dans la cité phocéenne. Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, le chef d’entreprise et « boss » de l’OM, comme l’appelaient les commentateurs sportifs, disaient oui à tout le monde. Guy Teissier le député sortant fut réélu. On retrouve un peu le même scénario aujourd’hui dans les rues où les Insoumis et la CGT tentent, faute d’une mobilisation signifiante, d’amalgamer, si ce ne sont les promesses, au moins tous les mécontentements. « Les colères », comme le rappellent à l’envi Jean-Luc Mélenchon et ses supporters. Les pilotes qui veulent que leur salaire à plus de 10 000 euros soit revalorisé, les hospitaliers qui en appellent à des horaires décents et des moyens suffisants, les magistrats qui estiment que les misérables ne sont pas traités comme les puissants, les péripatéticiennes qui protestent contre les misères qu’on fait à leur clientèle, les cheminots, les gaziers, les enseignants, les « cultureux »… sous les pancartes on parle de « convergences » et on rêve que cette salade niçoise débouche sur un plat de résistance, la grève générale. A moins que l’approche des vacances ramène tout le monde à la réalité.
Pédale douce…
Les auditeurs de RMC ont gratifié d’un « balai d’or de la saleté » la ville de Marseille. Monique Cordier l’adjointe au maire au micro de Eric Brunet a légitimement entonné l’air de l’incivisme. Oui mais, en même temps, elle aurait pu insister sur le ramassage qui reste une des plaies des services territoriaux. Il y a près de 200 000 conteneurs dédiés à la réception des déchets ménagers sur la métropole Aix-Marseille. Cela ne suffit pas à faire de Marseille, mais aussi d’Aix-en-Provence, des villes propres. Les grands conteneurs sont dotés de pédale pour faciliter l’ouverture des couvercles qui ont deux fonctions principales : contenir les mauvaises odeurs et éviter que la pluie ou des bestioles se mélangent aux ordures. Sauf que nos hommes de l’art referment rarement ces réceptacles, quand ils ne coincent pas les dits couvercles contre les protections délimitant la place dévolue, sur nos rues et artères, aux conteneurs. Sachant qu’un conteneur coute de deux cents à trois cents euros pièce, on imagine que la mécanique qui commande leur ouverture atteint au moins 10% du prix. Pour ce qu’elle sert, autant s’en passer. Et voilà comment des petits ruisseaux font les grandes économies…
Abondance de biens
Picasso à la Vieille Charité et au Mucem, Picasso encore, avec Picabia, au musée Granet, Edgard Degas au musée Cantini, Nicolas de Staël à l’Hôtel de Caumont… entre Marseille et Aix les amateurs n’ont que l’embarras du choix pour déguster ce que l’art pictural a produit de mieux, dans ce que l’on a appelé la « modernité ». Et il existe une foultitude de petits rendez-vous que l’on peut dénicher, d’Arles à Châteauneuf-le-rouge, de La Ciotat à Martigues, de Salon aux Saintes Maries. Pour s’informer sur ces propositions les sites ont aussi fleuri à la vitesse du haut débit. C’est sans doute là que le bât blesse, car pour reprendre la formule « trop d’infos tue l’info ». On attend encore qu’apparaisse un outil qui hiérarchise, contextualise, informe, éduque sur ces lieux magnifiques où survit et prospère l’art. L’arlésien Alphonse Daudet disait que l’art élargissait la vie et ici comme ailleurs on a besoin d’espace.
La mort aux trousses
Les armes ont encore parlé et tué dans les quartiers nord. A l’Estaque deux hommes ont été fauchés par la mitraille. L’un d’eux était innocent, nous jure-t-on. On a parlé du coup, savamment, de « victime collatérale ». Passons. Comme il faut, charitablement, éviter d’évoquer les réactions d’élus de gauche de droite et d’extrême droite qui ont – mais c’est bien sûr – remède à apporter dans ce que l’on appelle un peu vite des zones de non-droit. C’est Frédéric Beigbeder qui résumait partie de la problématique dans son bestseller, 99 francs. « Connaissez-vous la différence entre les riches et les pauvres ? Les pauvres vendent de la drogue pour s’acheter des Nike, alors que les riches vendent des Nike pour s’acheter de la drogue. » Pas sûr que cela soit suffisant comme l’on ne peut se satisfaire de l’équation : pauvreté égale drogue, drogue égale profits, profits égale violence. Les milliers de Marseillais, qui habitent et vivent dans ces quartiers meurtris, ne sont pas majoritairement des dealers, des délinquants, des assassins. Comme les milliers de Marseillais, qui habitent dans des quartiers plus huppés, ne sont pas forcément des consommateurs. Une seule chose est sûre, les sommes générées par les trafics sont énormes. C’est le pouvoir que donne cet argent-là qui est meurtrier, parce que personne ne veut le partager.
Seuls les gendarmes rient
Un confrère « bien informé » me conte l’anecdote. Il croise une de ses connaissances qui travaille à la mairie. « Salut ça va le boulot… et d’ailleurs qu’est-ce que tu fais au juste ? » « Je bosse à la mairie… » « Oui mais c’est quoi ton job ? » « A la mairie, t’as compris ? » Le confrère comprend surtout qu’il est urgent de ne plus insister, et passe son chemin. Il faudra qu’il attende, pour satisfaire sa curiosité, que les gendarmes, qui sont chargés d’enquêter pour le parquet national financier sur les services municipaux, aient bouclé cet épineux dossier. Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat à la fonction publique, rappelait opportunément, il y a quelques jours, que les territoriaux devaient effectuer 1607 heures par an et qu’on était loin du compte dans certaines villes pour des raisons multiples et petits arrangements divers… C’est l’application normale des 35 heures, mais la norme ne semble pas être une contrainte pour tous. Dommage cela permettrait, par exemple, d’ouvrir des bibliothèques le dimanche. Un service très attendu par les étudiants et pour lequel la France stagne dans les profondeurs du classement.
Eh bien gentrifiez maintenant !
Définition de « gentrification » : néologisme et anglicisme qui désigne le processus de transformation du profil économique et social d’un quartier urbain ancien, au profit d’une classe sociale supérieure. Quelques quartiers à Marseille où le phénomène est observable : une partie du Panier (2e), rue d’Endoume (7e) ou encore Vauban (6ème). Comment identifie-t-on le phénomène ? Les écoles se remplissent à nouveau. Les quadras sont de plus en plus nombreux. Le bio s’impose dans les commerces et resurgissent des échoppes qui avaient disparu : fromager, traiteur, primeur, caviste, galerie et indispensable conciergerie. Corollaires de cette métamorphose, l’immobilier grimpe, les plus pauvres émigrent, une culture populaire disparait. Dans ces quartiers le temps des « tourneurs », ces employés qui rebranchaient aux caténaires le trolley bus lorsqu’il devait faire demi-tour, est révolu. Désormais on ne tourne plus que la page.