Le génome humain n’a presque plus de secret pour les scientifiques. Ils peuvent séquencer l’ADN complet d’un être humain en quelques heures mais rares sont ceux qui savent décrypter le langage des chromosomes. A Marseille, Genepred a développé des modèles mathématiques pour lire dans les gênes et surtout, anticiper l’apparition de nombreuses maladies graves comme les cancers ou l’infarctus du myocarde.
L’alliance des mathématiques et de la génétique
Tout a débuté au sein d’un laboratoire de l’Inserm, l’unité d’immunologie et génétique des maladies parasitaires, dirigée par le Pr Alain Dessein à La Timone. En 2009, son équipe découvre pour la première fois que les problèmes de fibrose du foie, qui interviennent dans la cirrhose, sont liés à la génétique. Il identifie les marqueurs impliqués affirmant qu’ils sont indispensables à l’apparition de la maladie. Rapidement, il fait part de sa découverte à son fils, Pierre, qui trois ans plus tard lance la société Genepred pour en faire profiter le plus grand nombre.
Pour rendre accessible la découverte de son père, Pierre Dessein s’est lancé dans le développement d’un outil logiciel complexe car « un grand nombre de gènes est impliqué dans l’identification des marqueurs », explique le PDG de l’entreprise. Des milliers de patients ont dû être testés en Chine, en Afrique, en Europe pour étayer les travaux de son père et l’algorithme créé par son équipe d’ingénieurs permet d’analyser l’ensemble des don- nées. Pour l’heure, le logiciel de Genepred est toujours en phase de test au sein de différents laboratoires publics et privés. Il doit obtenir les premières autorisations de mise sur le marché avant de se lancer commercialement. La démarche pour l’obtention du marquage CE est en cours. Elle devrait aboutir à la fin de l’année. A terme, la start-up marseillaise compte mettre son application au service des laboratoires en mode « software as a service » (SaaS) moyennant un abonnement. Pour l’instant, les calculs sont effectués en interne mais vu l’immensité du marché ciblé, la simplification de l’outil est indispensable.
Le gêne de la fibrose du foie touche 20 % de la population mondiale
Au cours des différentes études menées, Genepred a déterminé que 20 % de la population dispose du gêne prédisposant à la fibrose du foie : « Si le gêne est indispensable à la naissance d’une fibrose, toutes les per- sonnes ayant le gêne ne déclenchent pas l’affection », explique Pierre Dessein. Les fibroses sont à l’origine des cirrhoses et des cancers du foie mais pour que ces maladies surviennent, il faut y ajouter des facteurs aggravants comme l’alcoolisme, l’obésité ou encore l’hépatite C. Mais ici encore, ces pathologies touchent un quart de la population mondiale. Ce sont sur ces facteurs que les médecins pourront agir pour éviter que les patients ayant un génome à risque ne développent une cirrhose ou une tumeur. En lien direct avec les professionnels de santé, la start-up continue de peaufiner sa solution qu’elle espère sortir au début de l’année 2018. Actuelle- ment, elle ne souffre d’aucune concurrence : « La médecine prédictive est très à la mode. Beaucoup de grands groupes travaillent sur la génétique pour y parvenir mais aucun ne dispose de nos découvertes sur la fibrose. C’est un domaine encore inexploré », assure le jeune dirigeant. Mais cet ancien avocat d’affaires est conscient que pour conserver cette avance, il va devoir accélérer. Et pour gagner cette course technologique, Genepred doit très rapidement lever des fonds.
Une levée de 10 millions d’euros prévue dans l’année
Dès sa création en 2012, l’entreprise s’est lancée en quête de partenaires pour financer ses travaux. En 2015, elle a lancé une grande campagne de financement participatif sur la plate- forme Anaxago. Alors qu’elle espérait récolter un million d’euros, ce sont 150 internautes qui ont souscrit en trois mois apportant 1,2 million d’euros. Un joli pactole qui va lui permettre d’investir dans le développement de sa solution et de recruteur de nouveaux techniciens et ingénieurs passant ainsi de 8 à 12 salariés. « Le crowdfunding était une bonne solution pour financer une jeune entreprise au modèle atypique comme le nôtre, situé entre biotechnologie et numérique mais si l’on veut se donner les moyens de nos ambitions, il va falloir voir plus loin », affirme Pierre dessein. Longtemps, les associés ont hésité à enchaîner avec une nouvelle opération de deux à trois millions d’euros mais finalement, ce sont 10 millions d’euros qu’ils sont en train de lever. En contact avec des fonds français et européens, Genepred espère que ce nouveau tour de table sera bouclé avant la fin de l’an- née. Une première partie des fonds pourraient être débloquée en septembre prochain avant d’obtenir le solde en décembre, voire au pire au début de l’année 2018 avant le lance- ment commercial de son logiciel. Avec cette manne financière, la société va encore renforcer ses équipes avec six recrutements prévus d’ici la fin de l’année. Genepred commence d’ailleurs à être à l’étroit dans ses locaux du technopôle de Luminy. A la recherche de nouveaux bureaux, Pierre Dessein est en contact avec Kevin Polizzi pour intégrer le projet One Life en cours de construction à l’Estaque.
Après le foie, Genepred s’intéresse à la peau, au poumon et au coeur
Le marché potentiel de la solution de Genepred est énorme. Son business plan table sur plusieurs centaines millions de chiffre d’affaires à l’horizon 2022. Aux Etats-Unis, la génétique est beaucoup plus développée qu’en Europe. Les lois permettent, par exemple, à des sociétés privées de séquencer le génome d’une personne à sa demande. Pierre Dessein compte cependant réserver sa technologie au corps médical : « Il y a un problème éthique à informer une personne qu’elle va potentiellement développer un cancer sans accompagnement médical. Cela ne ferait que l’effrayer sans savoir comment réagir », argumente-t-il. Une frontière qu’il n’est pas prêt à franchir. Son équipe poursuit les travaux pour déterminer les gènes qui provoquent des fibroses sur d’autres organes que le foie. Actuellement, les travaux les plus avancés concernent les cicatrices post-opératoires dites chéloïdes. Ces boursouflures du derme semblent également liées à la génétique et pourraient être éviter aux porteurs. Les professionnels de la chirurgie plastique sont très intéressés par cette innovation. Les prochaines cibles sont les poumons et le rein pour la prévention des cancers et le cœur dont les fibroses provoquent les infarctus du myocarde. « On peut travailler sur tous les organes mais on se concentre uniquement sur les maladies qui peuvent bénéficier de soins », précise Pierre Dessein