Un homme ayant consacré un demi siècle de son existence à rassembler les œuvres de ses semblables, afin que tous puissent les apprécier, ne mérite-t-il pas, lui-même, à son tour, l’hommage d’un musée ? Réponse positive du gros cube noir en rivage de mer, et de la Major : c’est l’exposition “Georges Henri Rivière”… Du 14 novembre au 4 mars 2019.
Refusant tout enfermement disciplinaire, cet enquêteur aura passé l’essentiel de sa vie, -de l’ après première guerre mondiale aux années 70- à collecter objets d’art et les moindres traces d’activité humaine et sociale. Il documente avec ferveur la vie des travailleurs, les pénibles travaux agricoles ou le dur labeur des pêcheurs . Comment se fabrique un biniou ? Par quel tour de main le sabotier de Sologne transforme une bûche en sabot ? Par quelles affiches colorées les étudiants en art de Marseille illustrent et placardent leur révolte de mai 68 ? L’ethnologue n’écarte aucune recherche . Il écrira même, en 1976, à la Nasa, à Washington, afin d’obtenir un échantillon de la lune !
Coiffes et bananes
Premier président de la cinémathèque de Paris (au Trocadéro), Rivière l’éclectique promène sa longue silhouette à travers le globe, dénichant marionnettes à Lyon ou masque doré du Pérou. A la fois citadin et rural, ce pianiste viendra dans les Alpilles , à Maussane, chercher un splendide collier-harnais de cheval, puis en Bretagne recueillir les coiffes féminines en dentelle format “pain de sucre”. Cet amateur de music hall placera aussi en vitrine quelques unes des bananes (en plastique) dont Joséphine Baker ornait sa taille déhanchée.
Sabre du Bénin, cierge de première communiante et jeux de quilles en bois : rien de ce que les hommes imaginent et créent ne laisse indifférent ce collectionneur. Son ami, le peintre Fernand Léger n’hésite pas, à la même époque, à garnir sa Joconde d’un trousseau de clés et d’une boîte de sardines.
Totalité patrimoniale
Nombre de sites décentralisés, tels Arlaten à Arles, ou en pleine Camargue, s’inspireront de ce modèle pour évoquer les riches et multiples ressources locales. Héritier du musée parisien des arts et traditions populaires , conçu dès 1937 par G.H.R. , mais qui n’existera qu’en 72/75, (en lisière du bois de Boulogne, à Paris), le Mucem a choisi cet automne de reconstituer , en grandeur réelle, un buron d’Aubrac. Cette fromagerie d’altitude en Auvergne ne comprend pas moins d’une centaine de pièces, du lit aux tables, cloches et barriques… La présentation totale d’une unité écologique , un tableau complet relevant plus du patrimoine authentique que du folklore frelaté . C’est surtout une part de la mémoire de ce pays, comme peuvent l’être , en Algérie, les dessins de mosquée à minaret.
Inventeur du musée moderne, G.H.Rivière préférait l’effet narratif et poétique aux envolées lyriques et solennelles. Un autre de ses amis, le fameux sociologue-académicien Claude Levi Strauss s’amusait à lui écrire un compliment, depuis sa chaire au “col-ai-je-d’œuf-rance” (collège de France)…. Tandis qu’au slogan “Voir, c’est comprendre”, (sous-titre de cette exposition), Paul Eluard ajoutait :”Voir, c’est aussi agir, unir le monde à l’homme, et l’homme à l’homme“.