Amor Fati (*) est un événement majeur de MP2018 Quel Amour !, l’un des deux grands rendez-vous au J1. On démarre par une installation de JR, mise à la disposition des visiteurs pour une traversée… intérieure. Jusqu’au 13 mai 2018.
Il faut faire la queue devant le photomaton pour fixer sur papier son regard, puis, avec ou sans aide, trouver les gestes pour plier cette feuille et former un petit bateau, comme celui qu’on faisait, écolier, avec les feuilles à carreaux des cahiers. Si celui-là n’a toujours pas de jambes, il a nos yeux. L’origami en main, on chemine jusqu’à l’installation qui ne se dévoile qu’au dernier moment : une étendue d’eau de 1 400 m² surmontée d’un enchevêtrement de passerelles, plongée dans le noir et, au loin, une baie vitrée par laquelle entre une lumière blanche, éblouissante. « Ces passerelles sont des copies presque conformes de celles qui mènent aux bateaux (plutôt de croisières, Ndlr). Tout se passe dans cette traversée : plus on prend de la hauteur, plus on perd son bateau parmi les centaines d’autres. Il n’y a pas de courant précis. Des bateaux se perdent, d’autres vont tout droit. Mais on est naturellement guidé par la lumière et au bout du chemin, on se retrouve face à la Méditerranée », nous explique JR.
Marins d’eau douce ?
Connaissant l’intérêt de l’artiste pour la mémoire et les migrations, sachant, d’autre part, tous les drames vécus sur cette mer Méditerranée, le visiteur peut faire ainsi « l’expérience d’une œuvre immersive et sensible », en abandonnant son bateau à son destin comme « errer sur l’eau stagnante du J1 et peut-être aller vers la lumière ? ». Une lumière qui n’est pas sans rappeler celle décrite dans les expériences de mort imminente. Tout en respectant le travail de l’artiste, en saluant le concept comme la transformation de l’espace J1, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’on est plus proche d’une fraternité dans la mort (**) que de la célébration de l’amour pour la mer Méditerranée et des voyages annoncée par les organisateurs de MP 2018 Quel Amour !
« Dans tous mes projets, poursuit JR, on pense que c’est la photo qui est le plus important mais ce qui est important, c’est de fabriquer du lien entre les gens et de partager avec les autres. Et j’ai fait en sorte que ce soit le moins « Instagram friendly » possible : idée qu’on pose son téléphone et qu’on profite de ce moment même en faisant la queue, en fabriquant son petit bateau… » Et pour compléter son explication, l’artiste nous raconte son intervention à la frontière américano-mexicaine, à un point précis, où les populations des deux côtés se sont retrouvées de part et d’autre du mur, ont discuté, échangé leurs numéros de téléphone… L’effet sera-t-il le même à Marseille ?
Pour apprécier la subtilité avec laquelle JR peut toucher le public, ne manquez pas de visionner sur place le documentaire Ellis, sur ce puissant travail réalisé à Ellis Island en 2014. Ici, il manque quand même comme une pincée de sel. Ici, l’eau est calme, douce, elle provient d’ailleurs du réseau public, devra même être traitée sur la durée. Mare nostrum reste alors à distance, et pourtant elle est là juste sous nos pieds. Il est fort à parier que l’installation amusera les plus jeunes et tant mieux, mais moins ceux qui espéraient être embarqués plus loin, plus fort, comme emportés par un coup de mistral.
(*) Amor fati = amour du destin ou accepter son destin
(**) « Si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n’aurais pas écrit en vain » – Extrait de Ô vous, frères humains – Albert Cohen (qui émigra à Marseille à l’âge de 5 ans).
(©photos : Valérie Savin)
Informations pratiques
> Amor facti, carte blanche à JR – Jusqu’au 13 mai 2018
> J1 – 23 place de la Joliette, Marseille
> du mercredi au dimanche, de 12h à 18h, nocturne le mercredi jusqu’à 22h
> Tarif : 7 € – Famille : 10 € (valable pour 5 enfants maximum accompagnés de 2 adultes)
> Gratuité : le 1er dimanche du mois, pour les moins de 12 ans, carte Latiutde 13, e-pass jeunes, demandeurs d’emploi, groupes scolaires et groupes sociaux.