Jusqu’au 12 novembre, le Mucem expose l’artiste international Ai Weiwei. Une exposition à la fois intimiste et sociétale, née d’un dialogue entre quelques-unes de ses œuvres et les objets usuels des collections du Mucem. Une exposition également suggestive sur les relations politico-économiques entre la Chine et la France, entre le pouvoir et les êtres humains.
C’est parce qu’il crée toujours une œuvre en relation avec la ville où il expose qu’Ai Weiwei a choisi d’accueillir les visiteurs avec deux immenses savons de Marseille. Sur l’un, l’artiste a fait graver la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et, sur l’autre, celle des Droits de la femme et de la citoyenne, rédigée par la Marseillaise Olympe de Goujes en 1791. Juste derrière, Coloured House (La Maison colorée) : une autre pièce monumentale de 8 tonnes, véritable maison traditionnelle chinoise de la dynastie Ming. D’une fragilité apparente et pourtant bien solide, cette demeure a traversé les siècles. Devenue obsolète pour les villes modernes, elle a été sauvée de la destruction par Ai Weiwei et posée dorénavant sur des globes de verre. Une façon d’évoquer pour l’artiste le manque de préservation du patrimoine en Chine. Et il en va ainsi tout au long de cette exposition où chaque œuvre comporte un message.
Matières à réflexion
Avec ses ready-made (*) où se mêlent culture, tradition et pensée chinoise à l’art contemporain, Ai Weiwei, sculpteur, également photographe, architecte, cinéaste, reformeur, activiste sur les réseaux sociaux, se revendique ouvertement dans la lignée artistique de Marcel Duchamp qu’il a découvert dans sa jeunesse. Ainsi, il questionne les visiteurs sur la valeur accordée aux objets devenus, par son geste, œuvres d’art : répliques d’Iphone, de caméscope, de sex toy, de flacon de parfum … en jade – cette pierre de très grande valeur dans la culture chinoise -, mais aussi reproductions de restes humains découverts dans un camp de travail mis en place par Mao Tse Tung et présentés là comme les trophées qui accompagnent les grands seigneurs dans leur tombeau.
Son intérêt pour le monumental et son admiration pour Marcel Duchamp se concrétisent dans l’immense lustre d’une tonne, installé dans la seconde pièce, constitué de soixante-un lustres anciens, accrochés à un porte-bouteilles gigantesque qui rappelle celui de Marcel Duchamp. « Ai Weiwei aime la provocation, explique Judith Benhamou-Huet, commissaire de l’exposition. Là, il pointe la nouvelle société dans la Chine contemporaine qui a besoin de montrer sa richesse, au point de trouver ses lustres partout, même dans les campagnes. »
Sur les traces de son père
Judith Benhamou-Huet nous confie que « Fan-Tan (**) est l’exposition la plus intime d’Ai Weiwei ». Le lien entre l’artiste, âgé de 61 ans, et Marseille date en fait de 1929, date à laquelle son père, le poète Ai Qing, débarqua à Marseille, à quelques encablures du Mucem, sur les quais de la Joliette pour découvrir l’Occident. Ai Weiwei a eu l’occasion de faire le tour du port, sur les traces de son père, et de feuilleter également le journal de bord du capitaine du bateau qui amena son père de Shanghaï à Marseille. Ce père qui a subi la Révolution culturelle de Mao Tse Tung et l’humiliation dans un camp de rééducation par le travail de 1966 à 1979, et dont Ai Weiwei fut également un tout jeune témoin. « En reliant son œuvre avec son lignage paternel, cette exposition fait apparaître des résonances inédites et nous permet d’aborder son travail sous un jour nouveau », poursuit-elle. On peut voir d’ailleurs le masque mortuaire du défunt père exposé dans la première salle.
De cette période naîtront certainement la rage d’Ai Weiwei pour l’injustice et son engagement pour les droits civiques. Plusieurs œuvres en témoignent comme le container de Bijie, en bois de rose, qui rend hommage aux enfants SDF, venus se réchauffer dans un container similaire de recyclage, en 2012 dans la province de Guizou, et morts asphyxiés, alors que les autorités chinoises affirmaient au même moment qu’il n’y avait plus d’enfants SDF en Chine. Mais aussi Human Flow, son film tourné pendant une année auprès de réfugiés de toutes nationalités pour témoigner de cette crise internationale.
Arrêté en 2013 et assigné à résidence en Chine jusqu’en 2015, date à laquelle son passeport lui est restitué, Ai Weiwei part s’installer alors à Berlin, où il vit actuellement.
Informations pratiques
> Fan-Tan – du 20 juin au 12 novembre 2018
> ouvert tous les jours sauf le mardi / ouvert tous les jours au mois d’août de 10h à 20h
> tarifs : 9 € et 5 €
> Esplanade Robert Lafont – Marseille 2e> Temps forts à venir autour du film Human Flow d’Ai Weiwei, du 20 au 30 septembre
> Week-end littéraire les 10 et 11 novembre – Carte blanche à Patrick Chamoiseau(*) Ready-made : objet manufacturé décrété comme œuvre d’art par un artiste.
(**) Fan-Tran : jeu populaire chinois similaire à une roulette, mais également nom du char offert par un Chinois aux armées françaises