Une des manifestations culturelles les plus insolites de cet été ne se déroule ni à Aix ou Marseille, ni Avignon ou la Roque d’Antheron… Mais sur un pic rocheux entre Crau et Alpilles. Deux géants de l’expression artistique moderne, Godard et Picasso, dialoguent autour d’une crypte millénaire, la bien nommée Montmajour, cette “grande montagne” inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, qui fascina Van Gogh.
Accablé par les fortes températures provençales, le visiteur de l’abbaye bénéficie d’abord de la fraîcheur d’une chapelle semi-troglodyte, creusée à même la roche.
Avec Pierrot le fou et À bout de souffle, le cinéaste se plaît à cadrer quelques œuvres du peintre. Le poète Aragon s’enthousiasme, dans ses Lettres Françaises des années soixante, pour ces pratiques plastiques communes à Pablo Picasso et Jean-Luc Godard : l’art du collage et de la citation. L’un par la caméra , l’autre au moyen du pinceau, se plaisent à détourner les images convenues des magazines, à questionner leur sens et fondement, en interpellant le regard sur leur véritable portée .
Trinité primitive
Le premier collage de la peinture moderne date de 1912, lorsque le cubiste venu d’Espagne découpe un morceau de toile cirée figurant un cannage pour achever sa “nature morte à la chaise cannée”. Un demi siècle plus tard, le Suisse pro-chinois filme Bardot nue dans “Le mépris”, en déclinant la même trinité primitive composant la lumière : cyan (maritime), jaune (solaire) et magenta (des terres méridionales).
Ceux qui tiennent Godard pour un dilettante fantaisiste seront probablement ébahis par les nombreux cahiers et maquettes présentés sous les voûtes monastiques proches du cloître. Mise en page méticuleuse, analyses pertinentes et profondeur de réflexion procurent plaisir au cerveau attentif.
Achèvement subversif
Initiative conjointe du Centre des Monuments Nationaux, des Rencontres de la photographie d’Arles 2018 et de l’ambitieux programme “Picasso-Méditerranée” du musée national Picasso, cette exposition rapproche audacieusement deux créateurs ayant osé formuler l’idée subversive que leur œuvre pourrait mettre un terme à l’histoire de leur propre discipline. Ou Godo et Picassard comme ultime achèvement de la peinture et du cinéma !
En réalité, ils subliment leur vision imagée, chacun à sa manière, si bien que l’amateur d’art ne sort du site historique qu’avec l’espoir d’un nouveau millénaire de foisonnement iconographique d’envergure. Donnant par avance raison à Dostoïevski qui promettait : “la beauté sauvera le monde”.
Pratique :
Jusqu’au 23 septembre , tous les jours, de 10 à 18h30. 5 ou 6€ l’entrée, gratuite aux moins de 18 ans, et handicapés.
www.abbaye-montmajour.fr