Quelques années après le succès de sa pièce de théâtre, À mon âge je me cache encore pour fumer, Rayhana, comédienne, auteure et réalisatrice d’origine algérienne exilée à Paris, n’arrête plus de voyager pour présenter, cette fois, son premier long-métrage, tiré de la pièce éponyme. Déjà multi-récompensé dans les festivals, le film sort dans les salles ce mercredi 26 avril. Rencontre exclusive pour Gomet’ avec cette femme talentueuse lors de sa venue, mercredi 19 avril à Marseille, au cinéma Les Variétés.
L’action se situe à Alger pendant les années noires, dans un hammam, des femmes jeunes et moins jeunes, voilées et non voilées se font des confidences sur leur vie sentimentale tandis qu’à l’extérieur des bombes éclatent épisodiquement et que le destin de ces neuf femmes va basculer …
Gomet’ : Quand avez-vous décidé d’adapter votre pièce à l’écran ?
Rayana : Michèle Ray-Gavras est venue un soir avec Costa voir la pièce, à la fin de la représentation, elle me dit : « On en fait un film, c’est toi qui l’adapte et qui le réalise ». Elle a cru tout de suite dans le projet, c’est une grande dame !
L’adaptation a-t-elle été facile après le succès de la pièce ?
Rayhana : Plutôt difficile, notamment parce que la pièce dure deux heures et que je ne voulais pas sacrifier certaines choses. Dans l’écriture théâtrale, il n’y a pas de description mais pour le cinéma, il fallait que je réfléchisse et que je parle en pensant image. Peut être qu’avec un texte ou un roman écrit par quelqu’un d’autre, cela aurait été plus simple. Mais, ce fut joyeux et j’ai eu beaucoup de plaisir à le faire.
Vous qui avez étudié aux Beaux-arts, certaines images font parfois penser à des tableaux orientalistes.
Rayhana : J’ai tout fait pour que ce ne soit pas orientaliste, mais le décor, le hammam, la couleur de ses murs, la beauté de ces femmes ne pouvaient que faire penser à l’orientalisme. Ce que je ne voulais pas, c’est du voyeurisme. Comme je viens effectivement des Beaux-arts et que j’avais un texte très cru et direct, je voulais que l’image soit belle. Filmer ces femmes de sorte que maigres, grosses, avec leur cellulite ou leurs seins qui tombent, elles soient belles. Ce sont ces défauts qui font notre beauté, à nous, les femmes. Je voulais que toutes les femmes puissent se retrouver dans ces personnages. Pas de mannequins, juste des femmes normales.
Pourquoi avoir d’ailleurs choisi le hammam comme principal décor ?
Rayhana : Le hammam est le seul lieu où les femmes peuvent se rencontrer en oubliant leurs complexes parce qu’il n’y a pas le regard de l’homme, du coup elles peuvent « se lâcher ». Il y a la nudité dans tout le sens du terme, on se dénude, on se purifie, on peut tout dire. Et puis c’est sensuel un hammam…
Comment s’est déroulé le casting d’autant que vos personnages sont souvent dévêtus voire nus ?
Rayhana : Le casting a été très difficile, non pas pour les petits rôles ou la figuration qui étaient joués par des femmes grecques, mais ce n’était pas facile de trouver des actrices qui parlent arabe et algérien, d’autant qu’aucune comédienne d’Algérie n’a accepté. C’est la raison pour laquelle on n’a pas tourné en Algérie. J’ai donc eu la chance de rencontrer Hiam Abbass, qui est Palestinienne et qui a appris à parler algérien, mais on avait déjà pensé à elle pour la pièce de théâtre. Les autres sont des comédiennes algériennes qui vivent en France ; certaines ne savent pas lire l’arabe et deux d’entre elles n’avaient jamais joué.
Vous reconnaissez-vous dans l’une de ces femmes, auriez-vous aimé incarner l’une d’elles?
Rayhana : Dans la pièce, j’ai interprété le rôle de Meriem, Marie la vierge enceinte… mais c’était en 2009 ! Le personnage qui me ressemble le plus quand j’étais jeune, c’est Nadia avec un peu de Samia. Aujourd’hui je dirai Fatima mais je préfère de loin Hiam Abbas à moi !
Le titre du film pourrait faire penser à une comédie de Josiane Balasko alors que c’est un drame. Pourquoi ?
Rayhana : C’est marrant cette remarque, car si j’avais fait ce film en français, j’aurais aimé avoir Josiane Balasko… Au théâtre, on appelle ma pièce une tragi-comédie mais au cinéma non, même s’il y a énormément d’humour. Le rire est notre résistance, sur nos malheurs, parce que si on ne rit plus, on meurt dans un monde de machistes. J’adore le film “La vie est belle”, on rit dans ce film alors que c’est tragique. J’adore aussi le cinéma de Kusturica. Je me sens très proche de son univers, je n’ai pas son génie, mais c’est le cinéma que j’aimerais faire, sa façon de traiter de quelque chose de grave avec dérision, son onirisme. D’ailleurs, la fin de mon film va dans la féerie, j’aime mélanger le réalisme et l’onirique !
Ces conversations intimes dans le hammam, parfois très crues, abordent finalement des sujets universels pour les femmes, quelle que soit leur nationalité ou leur religion ?
Rayhana : Exactement, partout dans le monde ce sont les mêmes préoccupations, on parle de nos corps, de sexe, de la violence conjugale, du machisme, de la maltraitance, de la domination du patriarcat. Simone de Beauvoir a dit un jour « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en cause. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant ». L’art, le cinéma ou le théâtre ne sont pas des tribunes politiques, comment résister en tant que femme, féministe, amoureuse des hommes. L’amour, le vrai, ne peut exister que si on est égaux. Pour moi, mon film parle d’amour, celle qui cherche l’amour, une autre qui ne l’a pas trouvé ou celle qui a eu un amant, même l’intégriste qui aime son mari défunt, je ne la condamne pas en tant que femme mais pour l’idéologie qu’elle représente.
Votre film a reçu le soutien de la Région Paca, quelle a été sa contribution?
Rayhana : Elle concerne toute la post-production et notamment le mixage.
Enfin, aimeriez-vous que votre film soit projeté en Algérie ?
Rayahana : Et comment ! J’en ai la chair de poule. J’aimerais y croire …