Créée à Paris en 2014, l’association Le Carillon débarque sur Marseille. Depuis déjà quelques semaines, Fabrice et Sarah s’emploient à faire connaître la structure, et à animer la vingtaine de commerces proposant des services aux personnes en difficulté de la ville.
Dans un monde où le contact réel devient de plus en plus difficile, où les personnes restent continuellement penchées sur leur téléphone et les marginaux sont oubliés par la société, l’association Le Carillon s’évertue depuis trois ans de créer du lien entre les commerçants, les sans domicile fixe et les habitants. Le concept peut paraître simple, mais il améliore des dizaines de vies, par de simples gestes. Ainsi, un commerce se propose de mettre à disposition de personnes en difficultés des services, comme l’accès à des toilettes, un verre d’eau, un café, un micro-onde… « On n’est pas là pour distribuer de la nourriture, explique Sarah l’unique employée et animatrice du Carillon marseillais, d’autres associations le font déjà. On vient en complément. »
Outre les services, l’association voit plus loin, ils ne sont qu’un prétexte pour nouer des liens avec des personnes qui n’en ont pas ou plus l’habitude, et changer le regard les uns sur les autres. « Nous formons aussi le personnel, susceptible de recevoir les SDF, à leur répondre». Sarah de poursuivre : «On pense que le bonjour est systématique, mais il ne l’est pas toujours. Il y a aussi des codes à apprendre. Comme par exemple, au niveau de la posture, pour discuter avec un sans-abri, il faut se mettre à leur niveau…” donc s’accroupir ou s’asseoir pour qu’il n’y ait pas de personne supérieur ou inférieur dans l’échange.
Le cap des 50 en septembre
Le dynamisme des deux fondateurs est communicatif, tout comme leur espoir de propager ce lien social à l’ensemble de la ville. Alors que nous avions rencontré les deux jeunes gens au début du moins de juin, à peine une dizaine de commerces faisaient partie de l’esprit « Carillonneur ».
Aujourd’hui, ils sont une vingtaine et en septembre, ils devraient facilement atteindre le cap des 50, bars, restaurants ou toutes autres boutiques, fixés pour le lancement officiel de l’association. Fabrice de recentrer les choses « c’est un véritable engagement, donc soit le commerce participe activement, soit il ne participe pas. » Pour éviter cette situation de partenariat mou, une véritable sélection est organisée. Un dialogue amorcé avec les commerçants, afin de connaître le fond de leurs pensées. Il n’est pas question de faire les choses à moitié, ni de tirer profit à l’aide d’un possible coup de communication que représente une action sociale. La démarche d’aller vers l’autre est souvent mal perçue et compliquée pour le sans domicile fixe. « Il est intéressant de se rendre compte du fait que les commerçants ont dans un premier temps souvent peur de l’abus, mais en fait, c’est l’effet inverse qui se produit, explique Sarah. Les personnes en difficulté n’osent pas franchir la porte» par peur du regard de l’autre ou par honte de quémander l’aide à un inconnu. Mais une fois le dialogue amorcé, les premiers retours sont positifs d’après Sarah « par exemple au Café Conception. Un SDF, qui se rend souvent là-bas, bénéficie de temps à autre d’un sandwich ou de l’utilisation du micro-onde. Ces petites attentions sont offertes par la patronne, parfois ils mangent ensemble autour de la table, s’engage alors un moment d’échange. Et pour lui rendre la pareille, le sans-abri sort les poubelles. » Le Carillon est un prétexte, pour briser les frontières imaginaires, figées par la société.
«L’habitant ne voit plus son commerçant comme avant»
Pour veiller au bon fonctionnement du réseau, des bénévoles ainsi que des « demandeurs de services mystères» comprendre des « sans domicile fixe », se rendent dans les commerçants affichant la pastille sur leur devanture afin de vérifier l’accueil du personnel. Et voir s’ils respectent bien leurs engagements. Dans le cas contraire, la sanction ou la remontrance est immédiate. Car même si servir un verre d’eau, un café, brancher un téléphone, et sortir quelques banalités prend un certain temps, cela peut avoir un impact sur l’activité commerciale « avec le recul que nous avons via Paris, il y a plus de monde dans les boutiques et les commerces qui ont le logo du Carillon, constate Fabrice. Cela est un bienfait collatéral, car l’habitant ne voit plus son commerçant comme avant. Le gain est réel et naturel.» Le changement de regard se situe donc à plusieurs niveaux entre les habitants, les commerçants et les personnes en difficulté.
Un véritable business plan social
Toutefois pour vivre ou plutôt survire, une association, comme n’importe quelle société, doit faire entrer de l’argent dans les caisses. Pour cela, Fabrice tente de développer un réseau d’importants donateurs, que sont les grandes sociétés (AG2R participe au financement du Carillon Marseille), mais aussi de recueillir les micros dons. Les clients fréquentant les lieux carillonneurs, seront amenés dans quelques mois à arrondir les notes, pour soutenir l’association.
Le troisième volet est plus novateur, il correspond à un véritable business plan social. Fabrice de poursuivre « on souhaite permettre aux petites entreprises locales, ne répondant pas aux critères de grands donateurs, de pouvoir participer à un projet. Pour cela, je suis en train de créer un fond de dotation inter-entreprise. » Cette enveloppe doit permettre de soutenir les personnes en situation de fragilité, par le biais de financements redistribués « sur projet » à des associations luttant contre le surendettement, le mal-logement ou prônant la réinsertion par l’emploi. Le système des « business angels » n’aura jamais aussi bien porté son nom. Vous l’aurez compris, Le Carillon s’implante à Marseille avec l’ambition de faire changer les idées, briser les stéréotypes. Et qui sait si un jour, vous avez besoin d’aller aux toilettes, ou de recharger votre téléphone afin d’envoyer un mail de confirmation pour un deal important, vous pourrez remercier le Carillon d’avoir recentré l’humain et l’échange dans le cœur de la société.