Tout le monde est là, vendredi 12 septembre 2014. L’auditorium du Mucem est plein. Le journaliste Philippe Pujol, qui a remporté le Prix Albert Londres pour sa série « Quartier shit », s’asseoit en silence sur les marches encore vides. L’anthropologue Michel Péraldi, co-auteur avec Michel Samson du célèbre Gouverner Marseille démarre, en trombe, sans laisser le temps de respirer, après la brève présentation de Thierry Fabre, le directeur du développement culturel et des relations internationales du musée : « Marseille est une ville normale, vis-à-vis de laquelle il y a beaucoup de postures ». Et d’égrainer les clichés qui lui collent à la peau : ville de la diversité, carrefour de l’immigration. « Attention, Marseille n’est plus ce qu’elle a été. Entre 1914 et 1938, elle a été la capitale de la diversité, oui, mais plus maintenant. Où sont les Colombiens, les Philippins à Marseille ? Aujourd’hui, cette ville est à la périphérie des migrations, ce n’est pas une ville cosmopolite », explique-t-il, alors qu’il sortira en 2015 un nouvel ouvrage aux éditions La Découverte, Sociologie de Marseille.
Certes, Marseille est une ville traversée par l’immigration – notamment d’Afrique du Nord – et ce sont essentiellement des descendants d’immigrés qui peuplent la ville. Les nouvelles migrations, elles, ne passent plus vraiment par Marseille. « Que cherchent les immigrés ? Du travail ? Il n’y en a plus à Marseille », s’exclame le sociologue, qui ne veut pas non plus caricaturer la ville par sa fracture sociale Nord / Sud. Dans une récente interview à Marsactu, il affirmait qu’il était « faux de dire que Marseille est une ville pauvre ».
« On m’a un peu reproché cette phrase, reprend Michel Péraldi. Bien sur que Marseille est une ville traversée par la pauvreté. Si on regarde le taux de chômage, il est de 17,3% à Marseille, 16,5% en Seine-Saint-Denis. Le pourcentage de bénéficiaires du RSA est de 6,5% à Marseille, comme en Seine-Saint-Denis. Ce que je veux dire, c’est qu’il existe à Marseille un habitat individuel urbain qui fait d’elle une ville de petits propriétaires de classes moyennes. Le taux de propriétaires occupants à Marseille est de 45%. Il n’y aucun quartier, sauf les quartiers Nord, où les propriétaires ne sont pas dominants ».
Marseille, une ville de classes moyennes
En reprenant le vocabulaire du philosophe Michel Foucault, il justifie sa position, explique que Marseille est faite d’emplacements, où des poches de pauvreté se nichent dans chaque quartier, exceptés les 8e et 9e arrondissements, exclusivement riches. Il défend une vision « nuageuse » de Marseille, plus conforme à la réalité, plus « tangible », qui se rapproche du puzzle incroyablement complexe que forme cette ville : « Il y a, à Marseille, un imaginaire d’étoile morte », fait-il devant une salle qui n’en perd pas une miette. Reste une carte qui n’a pas été faite par les sociologues, et qu’il aurait aimé faire, s’il avait eu le temps : celle qui ferait correspondre le vote et le taux de propriétaire d’un quartier. « Il faut savoir qu’avec l’abstention, Jean-Claude Gaudin a été élu maire de Marseille par seulement 12,8% des Marseillais ! », rappelle Michel Péraldi.
Le vrai changement de ces trente dernières années, finalement, c’est l’identité marseillaise de « ville industrielle », qui s’est « dissoute », juge l’anthropologue. Dans les années 1950, la ville accueillait 42% d’ouvriers, pour seulement 9% aujourd’hui. Le Parti communiste, lui, s’est effondré avec la société industrielle qu’il défendait, alors qu’il rassemblait 37% des votes à son pic, aux élections municipales de 1953. Jean-Marc Coppola, candidat Front de gauche aux dernières élections municipales de 2014, n’a recueilli que 7,10% des voix.
Le prochain défi qui attend Marseille désormais, c’est sa métropole, qui doit voir le jour en janvier 2016. Michel Péraldi s’en amuse, mettant en avant l’incapacité des politiques à se rassembler derrière le « fait métropolitain », qui existe déjà selon lui. « Il y a trop de métropole et pas assez de métropole en même temps, c’est paradoxal. Finalement, il n’y a qu’institutionnellement et politiquement qu’elle n’existe pas. Demandez aux étudiants et chefs d’entreprises d’Aix-en-Provence qui viennent à Marseille tous les jours ce qu’ils en pensent », termine-t-il. Et si, comme sur les autres sujets, celui-ci souffrait d’un trop grand nombre de clichés ?