Un an après l’inauguration du plus grand musée à ciel ouvert consacré au street-art, sur les murs de la L2, c’est au tour de la partie ouest du tronçon de se parer de couleurs, formes et visages apposés par les street-artistes engagés par la société gérant les travaux de l’artère stratégique de Marseille. Petit tour sur un chantier titanesque.
« Vous allez chercher, votre casque tout de suite !!» martèle d’un ton martial un responsable à la sécurité du chantier. Ni une ni deux, nous courons vers le mini-bus pour chercher ma protection. En prenant la direction du véhicule, nous pouvons entendre l’employé asséner d’une manière qui ne laisse place à aucun doute quant à son énervement, et sa capacité à ridiculiser quiconque ira à l’encontre de ses ordres « les shorts sont interdits, remontez immédiatement dans le bus !! » Cette anecdote résume assez bien l’écart existant entre le monde des bâtiments et travaux publics (BTP), et celui de l’art urbain. Entre le laxisme d’anciens vandales et des personnes venues comme spectateurs sur un lieu où se mêlent tractopelles, camions, contre-maîtres, ouvriers, puis les pots de peinture et autres bombes de graffiti, c’est le choc des cultures. Deux mondes qui, habituellement, ne cohabitent jamais, les uns bâtissant ce les autres utiliseront comme toiles à recouvrir une fois que les lieux sont désertés.
À la croisée de deux mondes
Ces deux univers ont été amenés à se rencontrer par l’envie d’un homme Imouk Moncorgé. Le directeur de la société de la rocade L2 a lancé il y a plus de trois le projet avec « la volonté de donner des repères aux usagers, précise l’instigateur. La rocade est quasiment entièrement enterrée, il n’y a pas les points cardinaux que peuvent constituer le Vieux-port, la Bonne-mère… Avec ces oeuvres, les personnes empruntant le route, se repèrent plus facilement. » Et dans une ville où le graffiti a une place toute particulière et les crews (groupe de graffeurs, ndlr) sont d’un excellent niveau, il ne pouvait en être autrement.
Pour cela, la société s’est entourée d’une association, Planète Emergences, qui apporte sa connaissance du domaine et une partie du financement, mais aussi d’un directeur artistique en la personne de Jean Faucheur. Ce dernier précise que cette initiative est aussi une façon « de valoriser, un chantier qui n’est pas spécialement apprécié par la population, il n’est pas particulièrement beau, mais plutôt pratique. L’art est une aspérité pour communiquer positivement sur la rocade. » Cet ancien street-artiste, devenu depuis spécialiste de cette discipline, se charge de dénicher les talents et de sélectionner les artistes. Cette étape se réalise selon le mur ou le lieu à peindre, car on ne parle pas de graffiti mais bien de peinture, et acrylique de préférence. Chaque entrée ou sortie de la rocade possède sa spécificité, que se soit les colonnes, la texture ou les dimenses des murs. Le responsable artistique accompagne les artistes dans les réalisations « une fois cette étape de sélection franchie, mon rôle est de les dégoûter, le plus possible. Il y a de grosses contraintes auxquelles ils ne pensent pas. Le casque, les bouchons dans les oreilles, le travail de nuit, puis la dimension. » L’objectif est simple : connaître la réelle motivation des personnes, mais aussi qu’elles prennent conscience de l’ampleur de la tâche. Avec des dimensions qui se comptent en plusieurs centaines de mètres, pour atteindre quasiment un kilomètre dans le cadre de l’œuvre de l’Atlas, les réflexions, la méthode de travail ne sont pas la même qu’un simple blaze (signature, ndlr) posé sur un mur.
L’art urbain permet de rattraper les erreurs des urbanistes
Pour cela, il faut anticiper. Des visites des lieux, des discussions, mais surtout sont exigés des croquis. Il n’est pas possible de partir dans l’inconnu. Alors que l’art urbain exige une certaine rapidité d’exécution, le muralisme légale oblige un recul et une professionnalisation plus importante qu’à l’accoutumée. Jean Faucheur de préciser : « Je leur explique aussi que les oeuvres doivent être conçues avec l’idée que les personnes qui les regarderont seront en mouvement et non arrêtées. » Par exemple, l’Atlas va concevoir pour la nouvelle portion une fresque comme une cinématique. Des lignes et formes très géométriques évolueront au fil des 900 mètres du mur, pour ce qui est voué à devenir la plus grande fresque du monde réalisée par un seul street-artiste.
Mais ce n’est pas tout, la L2 est un chantier de démesure. On ne parle pas ici de l’attente des Marseillais pour un projet entamé dès 1933, mais tout simplement des 35 000 mètres carrés peints par une dizaine de noms, pour bon nombre marseillais. Chaque réalisation se fait de concert avec une équipe d’assistants, afin d’éviter l’écœurement ou les tendinites comme Module de Zeer. Pour information, la plus grande fresque du monde réalisée à ce jour est à Berlin et mesure 21 000 mètres carrés. Si ce n’est pas avec l’OM, Marseille va là écraser la concurrence. Malgré un vivier intéressant d’artistes locaux, le directeur artistique déplore « un manque de volonté municipale pour faire éclore ce moyen d’expression. Quand on voit les façades des quartiers nord, il serait possible de rattraper les erreurs des urbanistes et des politiques. » Le populaire 13e arrondissement de Paris est un exemple à suivre. La scène locale est foisonnante, après un léger coup de mou lors du passage à l’an 2000, elle a repris du galon à l’orée des années 2010, pour retrouver cette place particulière dans l’horizon artistique hexagonal. De Veter à Moscato en passant par Gamo et Difuz, la part belle est faite aux locaux qui ont l’avantage de connaître le terrain, d’avoir leur propre vision de la ville mais aussi « ils ont bien souvent graffé sur ces mêmes murs de la L2 bien avant l’ouverture.»
La question de la conservation
Les artistes voient cela comme une reconnaissance de leur travail et une gratification. Damien “Goddog” reconnaît « une certaine joie. On est toujours content de voir son mur. Il n’est pas dégradé, puis ce qui est marrant avec ce genre de commandes, c’est de recevoir les photos de sa réalisation, prises par des amis coincés dans les bouchons. » L’Avignonnais, installé à Paris, a été choisi pour sa capacité à couvrir les espaces et ses formes géométriques racontent une histoire dont il laisse la libre interprétation aux automobilistes. Sébastien “Vetter” est marseillais de naissance, il a travaillé sur la partie de sa L2. Un an après il constate « certaines couleurs sont passés au soleil. Le rouge et l’orange résistent moins bien, on le savait », lance-t-il avec une légère amertume. Le temps fera certainement son effet et la question de la préservation des œuvres est posée. La société gérant la rocade de la L2 s’est d’ailleurs plus ou moins protégée afin de ne pas s’engager sur une protection durable des fresques. Toutefois la problématique pourrait intervenir plus rapidement que prévu dans un pays où les droits d’auteur sont particulièrement protégés. Et même si la question a été étudiée en plus haute instance, du côté du ministère de la Culture, aucune réponse n’a été réellement apportée. En attendant les méfaits du temps et les décisions ministérielles, il est possible d’admirer le meilleur de la scène hexagonale, gratuitement, en empruntant une rocade faisant la jonction entre les quartiers Nord et le centre-ville. Ces quelque kilomètres de bitumes servant à désenclaver un territoire abandonné offrent à l’art venu des quartiers la plus originale des galeries métropolitaines.