Il ne faut pas dire à Stéphane Ravier qu’un mandat de sénateur lui accordera peu de pouvoir. Ou que ce siège à la Haute assemblée ne lui permettra pas de combattre la métropole d’Aix-Marseille-Provence, dont la loi a déjà été votée à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Le maire du 7e secteur répondra, de sa gouaille habituelle, qu’on lui a tenu le même discours lors de son élection à la mairie. Lui s’en amuse, alors que la rentrée scolaire le hisse encore une fois sur le devant de la scène : « Le pouvoir du maire de secteur, on le voit bien en ce moment avec les rythmes scolaires : tout le monde se tourne vers nous ! », s’esclaffe-t-il, au milieu de son bureau, encore très peu meublé, mais dans lequel trône une étagère qui abrite une bouteille de champagne aux couleurs du FC Barcelone, l’équipe de football espagnole qu’il supporte depuis son plus jeune âge.
Son siège au Sénat, lui, parait plus proche que jamais. Et pourtant, les portes du Palais du Luxembourg se sont toujours refusées au parti d’extrême-droite. Voilà pourquoi le ton est grandiloquent, l’ambition immense. Sa possible élection, lance-t-il, bravache, va « réconcilier les Français avec la politique ». « Si je suis élu, j’irai siéger au Sénat avec mes convictions et ma parole donnée. Je rappellerai à Jean-Claude Gaudin et aux autres leurs promesses », confie-t-il à GoMet’, alors qu’il fait campagne auprès des grands électeurs de tout le département pour obtenir leurs suffrages. Est-il confiant ? « Sincèrement, j’y crois », se contente-t-il d’affirmer. Avant de poursuivre : « Je serai un peu seul mais j’ai une bouche : ça servira à proposer. Le Sénat n’est pas clivant, il y règne une ambiance de travail. Peut être arriverais-je à convaincre certains sénateurs… »
Pourquoi Stéphane Ravier est-il si optimiste ? Même Marine Le Pen, la présidente du Front national, y croit dur comme fer. Elle pense qu’il peut remporter ce siège, qui serait un pas de plus dans la professionnalisation du parti, voulue depuis 2010 et son accession à la tête du FN. Le prédécesseur de Stéphane Ravier dans ces élections sénatoriales, Bernard Marandat, face auquel il était opposé dans une sorte de « primaire » interne au FN, n’avait obtenu en 2008 que 39 voix sur 3 061 inscrits, dans un contexte national certes très défavorable à son parti. À l’époque, Nicolas Sarkozy venait de siphonner les voix de Jean-Marie Le Pen, qui ne recueillait que 10,44% des voix et laissait filer près d’un million d’électeurs par rapport à 2002. Aujourd’hui, Stéphane Ravier se fixe comme objectif 450 parrainages. Il assure en disposer de 310 pour le moment. Et ne désespère pas d’en obtenir plus dans les prochaines semaines, le parrainage restant secret, évitant ainsi à certains maires UMP de rendre public un soutien gênant à un élu FN.
Le FN veut convaincre les grands électeurs UMP déboussolés
« Chaque voix compte », expliquait Jean-Claude Gaudin lors de la présentation de sa liste, le 25 juillet, à Aubagne. Et si le sénateur-maire de Marseille rappelle cette évidence, c’est qu’il craint que des suffrages s’égarent chez le FN. Car c’est bien chez les grands électeurs de droite déboussolés par la situation de l’UMP que se tourne actuellement Stéphane Ravier. Dans certaines communes, le FN a atteint près de 50% des suffrages, comme à Saint-Victoret par exemple (54,39% pour la liste de Jean-Marie Le Pen aux européennes de 2014). Il se targue de recevoir un accueil « républicain » des plus « courtois » dans la majorité des communes, avec « petits gâteaux et café », même si « trois ou quatre maires ont joué aux vierges effarouchées ».
Ce n’est pas la première fois que Stéphane Ravier confie être accueilli de manière sympathique dans la région. Lors des dernières élections présidentielles, on pouvait le voir plaisanter devant la caméra du réalisateur Serge Moati, se présentant comme « l’enculé » qui tractait pour le FN. Peu de gens refusaient ostensiblement ses tracts. Cela veut-il dire pour autant que le FN pourra compter sur des soutiens venant de tous les bords politiques ? Pas sur… « C’est d’abord le maire qu’ils reçoivent, avant le type du FN. Après, je peux difficilement cacher que je suis du Front national… », assure Stéphane Ravier.
Une campagne contre la métropole
Au-delà du contexte national, sur lequel il compte surfer, c’est avec une ligne anti-métropole que Stéphane Ravier veut faire campagne pour s’implanter : « Je m’oppose à cette métropole gaudienne, je suis pour la liberté des communes », répète-t-il, jugeant que l’étiquette partisane « s’estompe » lorsqu’il utilise ces arguments. Jean-Claude Gaudin a beau contester la loi du gouvernement, il a bien du mal à cacher son soutien pour la métropole d’Aix-Marseille-Provence depuis plusieurs mois. Alors il nuance : « Le gouvernement a voulu faire trop vite, trop grand, trop fort », estimait-il, toujours lors de sa réunion à Aubagne, en juillet. De son côté, Ravier s’enfonce dans la brèche ouverte par le maire de Marseille : « Je dis aux maires : si vous ne voulez pas devenir maires de secteur, si vous voulez garder votre pouvoir, alors votez pour moi ». Un argument plus que contestable, puisque les communes ne disparaîtront pas avec l’arrivée de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.
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Cependant, telle que la loi est écrite, les communes devront transférer certaines de leurs compétences à cet échelon institutionnel nouveau qui doit voir le jour le 1er janvier 2016. Comme le Plan local d’urbanisme, que Jean-Claude Gaudin s’engage à conserver dans le giron des maires. Pour calmer leur colère, la ministre de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat, Marylise Lebranchu, a déjà installé un « conseil paritaire de projet », dont l’objectif est de recueillir les « amendements », et donc les aménagements à loi, souhaités par les maires mécontents. Mais visiblement, pour Stéphane Ravier, ce compromis n’est pas suffisant : « Les maires ne sont pas apaisés du tout : ils veulent amender la loi ! Ce que je leur dis, c’est que derrière sa rondeur de caractère, Jean-Claude Gaudin va la leur faire à l’envers », juge-t-il, dans un langage fleuri.
Dans tous les cas, la droite restera majoritaire dans le département. Mais enverra-t-il quatre ou cinq sénateurs ? C’est finalement la question. Conclusion de Ravier : « Je ne demande pas aux maires de trahir leur camp mais de ne pas faire triompher Gaudin ».