La menace pèse sur les centres sociaux de Marseille. Sans la reconduction du pacte de sécurité et de cohésion sociale, plus d’une quarantaine de personnes pourraient perdre leur emploi. Une situation critique qui mettra un coup d’arrêt aux actions engagées dans les quartiers populaires de la cité phocéenne depuis trois ans, malgré les aides des collectivités et institutions territoriales.
« Il y a urgence ». Demain, le pacte de sécurité et de cohésion sociale pour Marseille arrive à son terme. Et son renouvellement n’est pour l’heure pas (re)programmé. Lancé en 2013, sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ce plan qui comporte plusieurs volets (lire encadré) a offert un souffle nouveau aux centres sociaux de la ville, permettant ainsi de mener à bien des projets concrets et structurants auprès des jeunes des quartiers populaires. Aujourd’hui, malgré les alertes répétées au sommet de l’Etat, les demandes émanant des différentes fédérations sont restées lettres mortes, mettant ainsi en péril les actions misent en œuvre ces dernières années.
« C’est la politique de l’instant et non celle de la cohérence… »
Dans le cadre de ce programme, 1,5 millions d’euros sur trois ans ont été alloués aux centres sociaux faisant parties de la politique de la ville, soit près de 40 millions par structure. Un coup de pouce financier qui a permis de pérenniser des emplois, former des personnels qualifiés et signer des contrats en CDD et CDI, au service de la jeunesse. Avec la fin du pacte, c’est une quarantaine de personnes qui se retrouvent sur le carreau. « Nous travaillons sur des sites déjà précaires, et nous devons encore trouver des solutions financières », regrette Andrée Antolini, directrice du centre social de Frais-Vallon et membre de l’Union des centres sociaux des Bouches-du-Rhône. « C’est la politique de l’instant et non celle de la cohérence… »
« Une dure réalité » pour l’ensemble des acteurs sociaux qui se disent dépendants « d’une volonté politique » quand eux privilégient l’humain, au cœur de leur mission. C’est un travail de longue haleine que de réinsuffler, au sein des familles, une confiance détériorée et de retisser du lien. C’est ce à quoi s’est employé Frédéric, animateur au centre social de Saint-Menet: « on a fait un travail de désenclavement, notamment auprès de la communauté des gens du voyage. Un travail de médiation, qui rend aussi service aux politiques de la ville. Il serait dommage d’attendre que la violence remonte avant de réagir. Ce serait comme éteindre un incendie avec un seau d’eau ».
Ziad tire aussi la sonnette d’alarme. Aux Flamants depuis 2 ans et demi, il est au contact quotidien des 14-17 ans, qui ont épuisé les dispositifs existants et qui, la plupart du temps, se sont épuisés eux-mêmes. « C’est un poste aussi souple que la motivation des jeunes. Souplesse dans les horaires pour s’adapter à ce public difficile avec la confiance que m‘accorde le directeur». Etre là finalement comme un grand frère bienveillant sans se préoccuper du maître du temps. Son poste aussi est menacé mais ce n’est pas de cela qu’il préfère parler.
Structure familiale complexe, modèle d’autorité inexistant… beaucoup de ces jeunes sont déscolarisés et perdent pied. C’est principalement sur cet axe majeur que Ziad travaille, mais pas seulement. Le pacte leur a permis de sortir du carcan des quartiers, pour découvrir des sites où ils n’auraient peut-être jamais été, comme les Gorges du Verdon ou s’enrichir grâce à des échanges intergénérationnels. « Si tout s’arrêtait d’un coup, ça ne fera que renforcer le sentiment d’abandon qui est déjà un moteur pour ces jeunes dans la poursuite de méfaits. Ce n’est pas le but ».
Changer l’image des jeunes des quartiers
Le pacte prévoyait de financer le Bafa de 500 jeunes des quartiers. Loubna a pu profiter de cette opportunité. Elle qui a fréquenté le centre social Malpassé dès l’âge de 6 ans, y est aujourd’hui animatrice. Elle a été encadrée par Nabila, animatrice prévention jeunesse. En charge des plus de 15 ans, elle a mené des projets pour changer le visage des quartiers mais plus encore l’image de ces jeunes, grâce à des actions citoyennes. Par exemple, la jeunesse s’est impliquée pour établir une signalétique inexistante en réalisant un marquage au sol. « Beaucoup se sont engagés au service de la cité et leur regard sur eux-mêmes a également changé. Nous nous sommes projetés. Qu’est-ce qu’on peut dire aux jeunes aujourd’hui ? Il y a un manque de cohérence flagrant. On ne peut pas accepter l’inacceptable. »
Les différentes fédérations – l’Union des centres sociaux des Bouches-du-Rhône, le centre de culture ouvrière, Léo Lagrange, la ligue de l’enseignement et Ifac – sont unanimes pour dire que des projets spécifiques ont été lancés en fonction des territoires. « On a identifié des besoins, créer des réponses… Chaque structure a créé son projet en fonction d’un diagnostic de besoins validés par la Caf, et nous n’auront plus les moyens d’y répondre », explique Joseph Richard-Cochet, délégué de l’Union des centres sociaux 13.
Plus qu’un bilan chiffré, tous dressent un « bilan qualitatif et positif » de ces trois dernières années, même si aucune évaluation globale sur le pacte de sécurité et de cohésion sociale n’a encore été menée. « On ne sait pas si à Marseille nous avons rattrapé ou non le retard en la matière. Nous, nous avons adapté notre action à la réalité du terrain, et nous avons eu des résultats. Et la réalité du terrain, c’est qu’alors que le pacte prend fin, le préfet peut nous demander dans le même temps de rester ouvert au mois d’août. La France est championne du monde de l’expérimentation mais les centres sociaux doivent être reconnus en tant que tels. Nous ne sommes pas des centres de loisirs. Les centres sociaux ne sont pas un outil au service des politiques mais un lieu géré par les habitants… La priorité, c’est toute cette jeunesse.»
Le pacte de sécurité et de cohésion sociale pour Marseille. En novembre 2013, le premier ministre annonçait la mise en oeuvre d’un pacte de sécurité et de cohésion sociale pour Marseille. Celui-ci rassemblait tous les services de l’Etat, avec un soutien des collectivités territoriales, ainsi que la contribution des associations, habitants et acteurs de la société civile, pour mettre en œuvre une politique globale en faveur des quartiers populaires de la ville, selon trois grandes priorités : éducation et priorité à la jeunesse, cadre de vie et services publics dans les quartiers, emploi et insertion professionnelle.