C’est une marée de pin’s rose, de T-shirt et de livres aux couleurs fushia. Une panoplie qu’on imagine tout droit sortie d’un cartable pour la rentrée scolaire. Et soudain, celui dont la tête barre la couverture de son livre, posé sur l’accueil et titré La Grande trahison (éd. Flammarion), esquisse un léger sourire pincé, derrière le comptoir de l’entrée. C’est l’économiste Pierre Larrouturou, ex militant socialiste et écologiste, qui a co-fondé le parti Nouvelle Donne en novembre 2013. Il a fait le déplacement pour soutenir la liste aux sénatoriales dans les Bouches-du-Rhône menée par Justine Serrano, 32 ans, une petite femme à l’allure stricte de chercheuse au Centre de Physique des Particules de Marseille.
Ce qui est amusant avec les petits partis, c’est l’approximation qui préside à la nouveauté. Dans un monde politique où tout est ordonné, minuté, Nouvelle Donne insuffle une note de fraîcheur toute artisanale. On sent presque l’enthousiasme des nouveaux convertis, qui se sont peu frottés aux lourdeurs du système, débattent sur le fond, s’étonnent encore. À 18 h, au Centre des Congrès d’Aix-en-Provence, certains militants sortent à peine du bureau, malette à la main, logo Nouvelle Donne épinglé à la poitrine, qui, si l’on s’y penche un peu, ressemble étrangement à un symbole de super héros. D’autres collent des affiches jusque sur les carreaux ou dans les rues, vites rappelés à l’ordre par la responsable de la salle, qui égraine ensuite les règles de sécurité : « Pas plus de 509 personnes, attention », prévient-elle. « Si on a 500 personnes, on vous appelle. Et on débouche le champagne ! », ironise un militant illico, qui incite les militants à s’asseoir au milieu de salle, pour éviter que le public ne soit trop parsemé. Tous ont un stylo et un bloc-note à la main, studieux, cheveux grisonnants et bien peignés, des quinquagénaires pour la plupart.
« Les partis sont périmés. Il faut de nouvelles idées »
Nouvelle Donne a moins d’un an mais se présente déjà à sa deuxième élection. Aux européennes de mai dernier, le parti a récolté près de 500 000 voix et 3% des suffrages au niveau national, avec des têtes de pont médiatiques tels que l’urgentiste Patrick Pelloux ou l’auteur Bruno Gaccio. Il revendique environ 300 adhérents dans le département des Bouches-du-Rhône, dont plus d’une centaine à Aix-en-Provence (11 000 au niveau national, ndlr). « C’est un microcosme ici, les socialistes ont sûrement plus de vague à l’âme avec ce qu’il se passe au PS ou avec Guérini », estime un responsable de la campagne. Quand l’antenne locale fut créée en février dernier, à Marseille, c’est une flopée de déçus de la politique, de militants associatifs, ou même de citoyens n’ayant jamais adhéré à un parti qui se sont tournés vers… un parti ! Si le paradoxe est vite balayé, les militants craignent toutefois une professionnalisation de leur formation, qu’ils rejettent en bloc : « La professionnalisation, c’est un risque. Mais on doit mettre des gardes-fous dans notre organisation pour ne pas tomber dedans car on ne veut pas de gens qui font carrière en politique », témoigne Arnaud, 47 ans, salarié d’une boite d’engrais pour agriculteurs qui soutient Larrouturou depuis sa campagne pour la semaine de quatre jours en 1993, mais n’avait jamais adhéré à un parti jusqu’ici.
Il faut dire qu’à Nouvelle Donne, l’organisation interne et la désignation des têtes de liste sont pour le moins originaux et tranchent avec les partis traditionnels. Pour les européennes comme pour les sénatoriales, la commission d’investiture a été tirée au sort. Elle a ensuite étudié attentivement les CV des candidats volontaires, puis les a auditionné, avant de les désigner. Une façon de renouveler les générations et les profils des futurs élus, mais aussi de cultiver un nouveau « pacte démocratique ». C’est ainsi que, de son propre aveu, Justine Serrano s’est retrouvée en quatre mois « du statut d’inconnue à celui de tête de liste ». Sa candidature illustre malgré tout une certaine tendance : la profusion d’ex socialistes dans les rangs de Nouvelle Donne. « J’étais au PS mais c’était génétique, se justifie-t-elle. Mes grands-parents y militaient, j’ai grandi sous les affiches de François Mitterrand. »
Alors le renouvellement existe-t-il vraiment ? C’est en tout cas ce qui séduit Roger Evano, 73 ans, qui habite à Aix-en-Provence et dont le parcours militant est long comme l’histoire de la gauche : Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) – qu’il a quitté en 1980 – collectif ATTAC (qui défend l’idée d’une taxation des transactions financières), Ligue des Droits de l’Homme. Il glisse ses formules avec le regard qui pétille : « Les partis sont périmés. Il faut de nouvelles idées. Et surtout, il ne faut pas que Nouvelle Donne soit une usine de recyclage pour des ex socialistes. C’est le gros risque ». La réponse fuse : « Si j’avais voulu être élu, je serais resté au PS, se défend Pierre Larrouturou, dont la motion 4 du PS, qu’il portait avec Stéphane Hessel au Congrès de Toulouse en 2012, avait fait 12%. On m’a dit que ça me donnait le droit à une tête de liste aux européennes : j’ai refusé. Notre but n’est pas de faire carrière ». Pareil pour Isabelle Attard, ancienne d’Europe-Écologie Les Verts, qui jure qu’elle reviendra à une vie « normale » après son deuxième mandat de députée, si elle est réélue.
20 propositions fortes pour « reprendre la main »
Chez Nouvelle Donne, ce qui compte, c’est le fond. Le projet. Le défaut, c’est que le débat tourne parfois à la thèse universitaire. « La dernière fois, on s’était dit qu’il fallait recruter en dessous de Bac +5 », ironise Roger Evano. « On parie sur l’intelligence », préfére résumer Pierre Larrouturou, qui défend un projet global autour de 20 propositions fortes qu’il a détaillées devant l’auditoire. Parmi elles, le non-cumul des mandats, la fin du mythe de la croissance illimitée (« Compter sur la croissance aujourd’hui, c’est suicidaire », tranche Larrouturou), la séparation des banques (promise par François Hollande), la fin des licenciements pour lutter contre le chômage de masse (remplacés par une baisse de salaire, comme au Canada). Objectif : reprendre la main, redonner le pouvoir aux citoyens, les « décomplexer ». « S’investir dans un parti politique n’était pas quelque chose d’évident pour moi. Je ne connaissais pas grand chose à ce monde, explique Sophie Fonquernie, ingénieure, troisième sur la liste des sénatoriales. J’ai écouté des conférences sur Youtube, j’ai appris. Ici, c’est un parti qui décomplexe car il est ouvert, alors que le monde politique veut rester incompréhensible. » « Ici, c’est la base qui prend le pouvoir », continue Guillaume Thomsen, enseignant et numéro 2 sur la liste.
Faire de la politique autrement : c’est un mot que l’on a souvent entendu dans la bouche des autres partis. Pourquoi Nouvelle Donne tiendrait ses engagements, là où bien d’autres ont déçu ? « Il faut croire en notre honnêteté », convainc Justine Serrano. « Quand on est rentré dans le système, on est à peu près sûr d’y rester », juge Jacques Charton, 8e sur la liste. « La politique autrement c’est un slogan pour d’autres, mais pour nous, ce sont des engagements », affirme Isabelle Attard, qui distribue l’argent de sa réserve parlementaire (une cagnotte pour les élus qui peuvent la distribuer sans aucun contrôle) grâce à une commission tirée au sort qui évalue les besoins du territoire et sélectionne les dossiers réellement prioritaires. Cet engagement dont elle parle, c’est une Charte éthique, signée par les candidats, et qui a valeur de contrat : « On s’engage à ne pas faire plus de deux mandats, détaille Larrouturou. Si on ne respecte pas la Charte, n’importe qui peut nous attaquer devant les tribunaux. »
« Les sénatoriales, on s’en fout un peu ! »
Mais que viennent faire tous ces débats dans une campagne pour les sénatoriales, archétype de l’élection locale où les amitiés et les intérêts sont plus forts que les idées ? « Pour changer le système, il faut déjà y rentrer. On veut changer le Sénat de l’intérieur », estime Justine Serrano, pas très bavarde sur le sujet. C’est qu’en interne, la question s’est largement posée : faut-il y aller ? Avec quel programme au niveau local ? Pour ou contre la métropole d’Aix-Marseille-Provence ? Dans une assemblée où l’âge moyen est de 66 ans et dans laquelle seulement 35 sénateurs ont moins de 50 ans, l’idée de faire campagne sur la transparence ou le renouvellement de la classe politique a fait mouche. Mais ça n’allait pas de soi. « L’élection n’intéressait pas grand monde : il n’y a aucune chance d’avoir un élu. Finalement, les sénatoriales, on s’en fout un peu ! », confie, lucide, un militant de la première heure.
Pendant la soirée, un homme se balade dans les allées, distribue des tracts, serre la pince à tout le monde. Jean-Pierre Tomas et toute son équipe ont orchestré et piloté la logistique. En tant que directeur de campagne, il contacte les autres organisations, gère les relations avec les grands électeurs. « L’intérêt de cette campagne, c’était de présenter des candidats crédibles et compétents, mais surtout de montrer qu’on existait au niveau local. On a fait passer le message directement aux grands électeurs en leur envoyant des lettres par exemple », reconnaît-il, tout en ciblant le véritable objectif local : les régionales de 2015. [pullquote]« Si vous ne faites pas votre travail, vous êtes virés. Eux continuent à ne rien faire sans aucun scrupule » / Justine Serrano.[/pullquote]Entre les déboires du PS, qui se bat pour ne pas perdre tous ses sièges, et la campagne de Jean-Noël Guérini, qui fait la tournée des maires avec dans sa besace l’opposition à la métropole et les subventions du Conseil général, il y avait de la place pour une énième liste de gauche, pensent-ils. En effet, toute la gauche est désunie dans ce scrutin, chacun faisant la pari d’être autonome du PS : Verts, Front de gauche, et donc Nouvelle Donne. « Quand vous regardez les statistiques de la présence de nos sénateurs au Sénat, parmi les 15 derniers, il y a en cinq des Bouches-du-Rhône », argumente Isabelle Attard. Selon ces chiffres, Jean-Noël Guérini n’a pas mis les pieds au Palais du Luxembourg depuis plus d’un an. « Si vous ne faites pas votre travail, vous êtes virés. Eux continuent à ne rien faire sans aucun scrupule », s’emporte Justine Serrano. « Il faut tout simplement que ces gens arrêtent de faire de la politique », conclut Robert Darmon, tandis que tout le monde s’accorde sur le nécessaire contrôle des élus.
Après trois heures de débat de haute volée, on a l’impression d’avoir assisté à la réunion d’un think tank. L’idée d’une possible candidature à la présidentielle de 2017 est déjà évoquée. Les prochains débats locaux, eux, mettront sur la table la question des alliances. En vue des régionales, il faudra discuter avec les socialistes, qui tiennent pour l’instant le Conseil régional. 2015, c’est déjà demain.