Dans un ensemble très convenu, le grand concert Parades, gratuit et ouvert à tous, a fait comme chaque année vibrer le Cours Mirabeau vendredi 25 juin au soir pour conclure les préludes du festival d’Art Lyrique Aix-en-Juin. « La formule marche », confirme-t-on en coulisses, il y aurait « autant voir plus de public que l’an passé, soit environ 5000 personnes » d’après le service technique déployé. Cette popularité confirmée autant auprès des amateurs d’opéra que du grand public n’est pourtant pas évidente face à une production qui « banalise en quelques sortes les performances des chanteurs, » comme le rappelle une cantatrice croisée dans le public.
Sur scène, tout le monde était dans ses rangs : l’orchestre du Freiburger Barockorchester sous la direction du maestro Andrea Marcon, les gros plans des trois solistes stars sur l’écran géant (Patricia Petibon, Anna Prohaska et Philippe Jaroussky), et les interludes de l’inimitable pédagogue de la musique Alain Perroux (conseiller artistique du Festival) qui faisait office d’initiateur aux sensibilités contrastées des airs d’Haendel.
Côté spectateurs, pas de fausses notes non plus. Les restaurateurs du cours aux terrasses réservées pour la soirée avaient prévu de faire exploser leur chiffre d’affaire, et les fenêtres des façades avoisinantes accueillaient toutes sans exception des spectateurs perchés. Les connaisseurs remplissaient le parterre des 1500 chaises réservées alors que les passants et retardataires s’aggloméraient autour des barrières et fontaines pour profiter du spectacle à travers l’écran géant et le son des hauts parleurs. Bref, l’ordonnance parfaite de la mécanique du Festival pour faire vibrer le grand public.
« Le concert Parades tient ses promesses, un miracle quand on sait que cette grande messe électronique est l’antithèse même de l’opéra! » souligne Jean-Michel, un habitué du rendez-vous annuel et aficionado du festival d’Art Lyrique. Pas de voix nues ni d’entre soi avec les spectateurs de Parade[s]; les écrans et baffles interposés travestissent les codes classiques pour partager l’émotion avec le plus grand nombre. Mais quand du profil menu de Patricia Petibon sourdent les trilles de Haendel, chacun frissonne et les bravos fusent. Soudain, la défaillance d’un micro rappelle toute la fragilité d’une voix, alors même que la soprano autrichienne Anna Prohaska faisait une prestation remarquable.
La logique mécanique atteint son paroxysme lorsque les spectateurs, assis comme debout, décident de saisir l’instant magique qui se tient devant eux à travers l’écran de leur smartphone –voir même de filmer le grand écran plutôt que la scène. Une pratique largement visible vendredi soir, et notamment auprès des “spectateurs de la première fois” rencontrés le long des barrières encerclant les places assises. A croire que ce n’est pas la performance des artistes qui attire mais l’évènement en lui-même. Il faut dire que le Cours Mirabeau est rarement aussi silencieux que lorsqu’un ensemble de chœurs chantent l’Alleluya du Messie de Haendel. Pour l’anecdote, on a même entendu plusieurs fois des “chuts” émis par certains passants agacés des discussions de rue pendant les performances !
Pas de doutes, Bernard Focroulle a encore une fois réussi son pari du grand public. Un touriste allemand croisé vendredi soir, surpris de découvrir que des airs d’opéra se jouaient en pleine rue, concluait lui à rebours que « le majestueux Cours Mirabeau et ses cafés correspondaient tout à fait à l’esprit élitiste de l’opéra ! »