La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Jean Viard, 65 ans
Spécialiste du territoire d’Aix-Marseille-Provence
Sociologue, directeur de recherche CRNS au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po Paris), auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Marseille, le réveil violent d’une ville impossible (éditions de L’Aube)[/pullquote]
GoMet’. Définitions. Qu’est-ce qu’une métropole ?
Jean Viard. Il reste difficile — voire impossible — de donner une définition de l’objet métropolitain. Il s’agit avant tout d’un projet d’organisation démocratique dont l’ambition est de créer du développement. Cela ne peut aujourd’hui pas se faire à travers l’échelle communale : le cœur de vie des citoyens ne s’y trouve plus. Le travail, l’éducation, la santé, les loisirs, la famille, les aspirations des individus se nouent par-delà les frontières du village, sur un territoire davantage étendu.
C’est finalement de cet espace-là dont la métropole nous parle ; de mondes imbriqués qui vivent les uns à côté des autres, avec un souci constant de préserver les singularités et la proximité. Dans chaque grande ville s’exprime une dynamique économique propre : le développement passe désormais par la liaison de ces mouvements et donc par la constitution d’un ensemble cohérent et lisible.
G’. Dynamiques. Dessinez-nous les contours de notre future métropole.
J.V. Aix-Marseille-Provence est la seule métropole européenne à jouir d’une nature intégrée au sein même de l’espace urbain. Or, cet ensemble unique, riche d’une diversité extraordinaire de territoires, personne ne le pense. Les espaces naturels y sont massacrés. Et les exemples sont nombreux ! Regardez l’Étang de Berre : il ne cesse de se dégrader. Les habitants de son pourtour ne s’y reconnaissent pas alors que cette vaste étendue d’eau forme naturellement une zone de rencontre. On en a fait une frontière. Le même constat s’applique à Marseille, à l’Estaque, à la Sainte-Victoire…
G’. Perspectives. Quels sont les enjeux pour ce territoire singulier ?
J.V. Le XXIe siècle sera un siècle marin : la mondialisation est en effet une affaire d’échanges et les matières premières se trouvent désormais sous l’eau. Jouir d’un grand port devient plus qu’essentiel. À ce titre, la métropole d’Aix-Marseille-Provence peut d’ores et déjà s’appuyer sur une situation géographique idéale : au centre d’un delta lui-même situé au cœur d’un ensemble de plusieurs millions de personnes. Ce sont notamment les transports qui permettent à ce carrefour d’exister ; pour l’heure, sans mise en réseau effective. Ces mêmes réseaux de villes qui attirent aujourd’hui les technologies et dynamisent l’économie. L’absence de formation aux métiers de la mer, sur ce territoire, en est une flagrante illustration.
Un autre travail à engager se situe sur le plan du sentiment d’appartenance : la multitude des identités — locales et communautaires —, qui caractérise aussi la région, nourrit aujourd’hui de fortes oppositions. Il est temps de mettre ces identités-là en résonance. Cette mosaïque est une opportunité pour la future métropole : la densité identitaire est en effet indispensable au développement d’un territoire.
G’. Outils. Comment engager cette métropole sur une voie dynamique et d’avenir ?
J.V. Il faut construire un modèle de développement déconnecté des habitudes locales — clientélisme et autres pratiques du même acabit — et ainsi inscrire la métropole dans une culture de projets. La démocratie reste pour cela l’outil premier : elle participe à protéger les minorités, les identités territoriales sont de celles-là. Alors que les patrons des territoires incarneraient donc ces singularités, le président de la métropole s’investirait en faveur du développement économique de celle-ci. Tous ces acteurs doivent être choisis par le peuple.
G’. Imaginaires. D’où provient cet imaginaire marseillais aujourd’hui très négatif ?
J.V. Derrière cette idée-là se trouve un fait historique : Marseille a été au XIXe siècle le 4e port du monde. La fin de la décolonisation a engendré l’écriture d’un récit d’effondrement. La Provence doit aujourd’hui renouer avec un récit constructif, un récit du sud de la France, un récit du grand delta, un récit du rapport aux suds de l’Europe, c’est-à-dire à l’Afrique… Ce territoire ne peut se passer de cette vision géostratégique qui consiste d’un même élan à s’adresser au « je », au « nous » et au « eux ». Le projet métropolitain, autour notamment d’une plate-forme culturelle et technologique, peut et doit participer à recharger en désir la Méditerranée.
Ce que GoMet’ en retient
Les citoyens s’épanouissent désormais au-delà des frontières du village, au sein d’une métropole dans laquelle la nature s’exprime jusqu’au cœur des villes. Les espaces de rencontre y deviennent souvent des zones frontalières. Il faut mettre la densité identitaire au service du développement du territoire ; en renouant avec une culture de projets. Le territoire doit nourrir l’ambition d’apprivoiser à nouveau sa méditerranéité et de dépasser ses frontières.