Les mots des maux
On se souvient encore à Marseille d’une polémique du début des années 90. Christine Ockrent avait commis alors un reportage dans ses « Carnets de route » qui fleurait bon la caricature. Le maire d’alors Robert P. Vigouroux suivi par un chœur polyphonique de vierges effarouchées – du PC au RPR – avait alerté les plus hautes instances de l’audio-visuel pour dénoncer l’outrage fait aux quartiers en difficulté. Plus de deux décennies plus tard, personne ne proteste à lire dans la presse papier un vocabulaire brut de décoffrage sans aucune précaution langagière. On glisse désormais sans sourciller le mot « kalach’ » dans un titre comme si le commun des mortels – c’est le cas de l’écrire – connaissait ce fusil d’assaut inventé au temps des Soviétiques. On évoque sans guillemets une nourrice – une mère de famille généralement – chez qui les dealers cachent la drogue, reléguant le sens premier aux archives de la littérature. On n’ose pas encore parler de « condés », «proc’» et autres «barbecue» (des cadavres brûlés dans leur voiture après un assassinat) comme si le lecteur comprenait de facto ce paysage inhumain qu’on lui dépeint. Lors d’un procès d’Assises récent un témoin à la barre appartenant à la communauté des gitans affirmait ainsi « M. le Président chez nous on nous apprend à voler, pas à tuer ! ». Et si Christine Ockrent n’avait fait qu’anticiper ?
Hollande visionnaire
On le sait depuis une semaine « un président ne devrait pas dire ça… » Le livre de deux journalistes du Monde, un pavé de plus de 600 pages, n’aura sans doute pas les vertus que ses auteurs, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont laissé à espérer à leur source principale François Hollande. Interrogé par François Tonneau (La Provence) le président de l’Assemblée Nationale quatrième personnage de l’Etat s’est ému de cet exercice singulier. «Un président ne doit pas autant se confesser. Le devoir de silence fait partie de sa fonction ». Patrick Mennucci y est allé à son tour depuis l’Assemblée nationale de son lamento. « Il livre des parts trop intimes » affirme le député. On ne sait si l’élu marseillais évoquait le passage où l’ancien premier secrétaire du PS affirme que le PS doit disparaître au profit d’un nouveau parti (Le parti pour le progrès). Car de ce seul point de vue, Hollande ne fait que décrire ce que les élus et militants ont entamé dans les Bouches-du-Rhône. (Photo Une : Universités de l’engagement du PS au Docks des Suds dimanche 16 octobre © Jean Yves Delattre).
Politiquement compatible
Jean-Claude Gaudin doit être soulagé. Il n’a plus à faire des génuflexions devant son ami Jean-Noël Guérini. Il est vrai que du temps de sa présidence de l’assemblée départementale le sénateur, alors socialiste, avait quelques bontés très chrétiennes pour le maire de la ville de Marseille. D’autant qu’elle était aussi la sienne. Ces temps sont passés et aujourd’hui la courroie de transmission n’a plus besoin de l’onction invisible du seigneur pour graisser les rouages de tandem ville-département. Martine Vassal qui siège en lieu et place de Guérini vient d’attribuer cent millions d’euros à la capitale du département qui en a, il est vrai, un impérieux besoin. Elle rompt ainsi avec un saupoudrage qui fit longtemps des petits maires du 13 des redevables au tout puissant et argenté conseil général. On a longtemps dit et écrit de plus que Guérini avait eu une bonne gestion de père de famille des deniers départementaux. Un bon père pour la bonne mère donc. Gaudin doit se sentir moins le vassal de cette assemblée qui s’est 50 ans refusée à la droite.
Commerces, ça ferme, on ouvre
Personne ne peut nier la formidable dynamique immobilière qui voit émerger un quartier à la new-yorkaise du fort Saint Jean à Arenc. On imagine au niveau des promoteurs sans doute une nouvelle population dans ces périmètres autrefois associés à des coupe-gorges ou au carrefour de tous les désespoirs. C’est un pari. Audacieux. Plus encore celui qui voit des bas de portes transformés en autant de boutiques présupposant une clientèle et de chalands présents 24h sur 24. Tel n’est pas le cas même si on nous annonce un nouveau programme ambitieux pour 2018 sur les anciens locaux historiques (1928) de la RTM. On parle encore de magasins. Lorsque l’on sait qu’aux Terrasses du port un turn-over d’enseignes est déjà engagé, que celles des Docks crient aujourd’hui misère malgré l’excellente réputation internationale de cet espace magnifique, que du côté des Halles, à proximité du Mucem, on peut lire depuis plus de deux ans que l’ouverture de certaines unités est pour « bientôt »… on est en droit d’être sceptique sur la finalité du projet global. La question est posée : où le bât blesse ? Peut-être là même où, il y a cent ans, le projet de rénovation de la rue de la république a échoué. Les Marseillais ne vont pas toujours où on les attend.
La L2, on y est… presque
C’est prévu pour la fin du mois. Huit semaines de retard c’est rien lorsqu’on a attendu 80 ans. La L2 devrait enfin permettre aux transhumants de l’est de rejoindre le nord de la ville sans s’enferrer dans le centre et vice et versa. On nous annonce aussi sous la houlette de Jean Faucheur, des graffitis de bonne facture pour recouvrir les milliers de tags qui ont fleuri les bordures de l’artère avant même qu’elle soit ouverte. Tout cela est réjouissant d’autant que le tunnel Prado Carénage, longtemps boudé par les automobilistes, frôle désormais à certaines heures la thrombose. Peut-on maintenant espérer une vraie réflexion sur l’omnipotence du tout-voiture dans une métropole réputée pour son taux de pollution. Et ne pas attendre 80 ans pour éveiller les consciences et retrouver ses esprits.
Un trou de verdure
C’est un trou de verdure dans les contreforts de la Gineste. Cela tombe bien puisqu’on y apprend aux enfants Le dormeur du val. Le cantique des cantiques pour ceux qui s’opposent à la guerre, à la barbarie, à la violence. Ces mêmes petits, sous l’œil vigilant des « tatas » et des « maîtresses » ont été conviés à un exercice. Une sorte de répétition générale au cas où surviendrait un attentat. Marcel Ruffo le pédopsychiatre reçoit de plus en plus de jeunes sujets – à Nice et ici aussi – qui sont troublés par les horreurs que, depuis plus d’un an, la télévision leur sert lorsque les parents ne sont pas attentifs et qu’ils quittent pour quelques secondes leurs dessins animés. Dans cette école au bord de la route qui conduit à Luminy les enfants ont appréhendé avec angoisse le nécessaire exercice auquel on les a conviés. Et ils comprennent désormais pourquoi le dormeur dont parle Rimbaud a « deux trous rouges au côté droit ».