Deux slips en gros plan, un vert, l’autre blanc, cachant à moitié le visage d’un noir qui tire la langue, sorte d’anti Banania y a bon… Cette toile circulaire ( 80 cm de diamètre ) s’appelle “Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux”. Hervé Télémaque la signe voici un demi siècle, il vient de débarquer en France, n’a pas encore 30 ans et n’oublie rien de son île natale, Haïti.
Cinquante ans après, l’essentiel de l’œuvre de cet artiste singulier a quitté les murs parisiens du Musée national d’art moderne, le Centre Pompidou, pour s’exposer tout l’été rue Grignan à Marseille. Aujourd’hui âgé de 78 ans, le peintre en fauteuil roulant , mais grande lucidité, participait jeudi 18 juin au vernissage de cette rétrospective, près de 70 créations.
Escabeau et marteau
Malgré la vivacité des tons de sa palette, il recourt volontiers à la troisième dimension. Ainsi un escabeau fixé au rectangle de toile peinte, le tout surplombé d’un marteau noir en équilibre sur une barre de trapèze ! L’auteur a biffé de cette installation le rêve de son adolescence : « être trapéziste. » Il a nommé cela “confidence”. L’ajout de ces objets ouvre le plan du tableau à de plus larges espaces, une sorte de feuilleté mis en perspective, et forcément autobiographique, mais pas que… « J’attends de mes tableaux qu’ils m’enseignent quelque chose sur moi-même, » avoue un Télémaque cherchant à s’émanciper des cimaises grâce à ses « sculptures maigres. »
Semblant figuratif
Il s’agit d’assemblages étranges d’objets hétéroclites et coloriés, clous, godasses, rubans, pelles ou cannes. Collage d’images aussi, découpées dans les magazines, ou morceaux de bois épars. Le tout restant énigmatique et mystérieux. Après un accident cérébral en 2006, Hervé Télémaque perd l’usage de sa main droite, mais ne renonce pas à combiner ses rêves avec la profusion des objets l’environnant. Les références au culte Vaudou ou à la bande dessinée complètent un univers ponctué de fulgurances poétiques. Confession de l’auteur : « Je suis un faux figuratif. C’est un leurre. Je subis des impulsions abstraites et je leur donne un semblant figuratif. »
Affranchi éduqué
Admirateur du surréaliste Magritte, comme du cubiste Braque, l’affranchi haïtien éduqué (se) joue du langage, en laissant son (in)conscient errer sur ses (re)présentations et moquer toutes les formes du colonialisme. Exilé à New York, il envisageait alors de prendre part à la guérilla pour chasser l’oppresseur de son île si misérable . Celui qui porte le nom du fils d’Ulysse et de Pénélope (si on en croit Homère), déclare à ceux qui ne comprennent rien : « Mon activité picturale est un acte de contentement absolument égoïste ; c’est le divertissement d’un esprit qui jouit de sa propre drôlerie … Une sorte de masturbation intellectuelle où on a tout à gagner. » Aux visiteurs de Cantini, souhaitons le même plaisir.
Pratique :
Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18h.
5 à 8€ le billet d’entrée. Jusqu’au 29 septembre.
Musée Cantini, 19 rue Grignan 13006 Marseille.musees-marseille.fr
(Illustration Une : capture d’écran Flickr Bernhard Scheid)