Faut-il financer les espaces de coworking ? La vague récente en France (Marseille et la Provence n’échappent pas à la règle), d’ouvertures d’espaces de coworking et de télécentres justifie à elle seule que l’on se pose cette question qui est étroitement liée à la politique économique des territoires. Des projets de coworking naissent tous les jours sur des territoires qui peuvent être aussi vastes que la ville de Paris ou aussi simples qu’un espace rural(1). L’espace de coworking est un tiers lieu qui a pour objectif avoué d’animer une communauté d’individus isolés, de travailleurs indépendants, d’entrepreneurs, d’entreprises petites et très petites, afin de favoriser des rencontres improbables entre acteurs économiques, le tout en vue de la production de l’inattendu (la sérendipité). Mais l’espace de coworking n’est pas qu’un tiers lieu fournissant un poste de travail avec du Wifi à l’entrepreneur individuel, le tout à un prix raisonnable…
Il semble aller de soi que, si la redynamisation d’un territoire rural ou périphérique passe par l’implantation d’un télécentre, celui-ci soit soutenu par les pouvoirs publics. On notera au passage que l’objectif du télécentre et son business model sont sensiblement différents de celui des espaces de coworking, bien que le travail partagé soit la raison d’être du télécentre(2). Dans ce cas, la logique de soutien par la collectivité territoriale s’applique de manière « quasi-automatique » car l’économie territoriale s’en trouvera modifiée profondément : réduction du temps des trajets domicile- travail(3), contribution à la réduction de la charge sur les transports, favoriser la compétitivité des entreprises, agir pour le développement durable(4), etc. Le télécentre est clairement un objet du développement économique et du développement durable sur le territoire. Compte tenu de l’engouement actuel autour du télétravail et des espaces de cowoking, il est probable que dans un avenir proche, de plus en plus de collectivités territoriales s’intéressent à ces outils d’animation du territoire en mettant en place plus ou moins spontanément des dispositifs d’appui à l’émergence des tiers lieux (voir par exemple l’appel à projet 2013 de la Fonderie sur les coworking spaces).
Bien plus qu’un lieu où l’on boit du café en refaisant le monde
À l’instar des télécentres et pour aller au fond des choses, il semblerait important de comprendre comment l’espace de coworking participe réellement au développement économique du territoire. S’il est assez facile de chiffrer l’impact de la réduction des déplacements et de la fluidification des rapports économiques des acteurs (gain de temps, impact carbone, etc.), il en va autrement de la serendipité et de la fertilisation croisée porteuse d’innovation. De même, quel est l’impact économique de l’animation territoriale dotée ou non d’un écosystème numérique ? Il se trouve que les pouvoirs publics n’ont pas toujours été intéressés à la mise en place d’espaces de coworking.
Jusqu’à une date récente, il était difficile de faire comprendre à une collectivité territoriale en quoi consistait cet objet et pourquoi il devait être financé par les pouvoirs publics. Les indicateurs utilisés au sein des collectivités pour déterminer l’impact d’un dispositif nouveau sont du type : nombre d’emploi créés ou maintenus, augmentation du chiffre d’affaires des entreprises impliquées dans le dispositif, capacité de l’entreprise à exporter, etc. Indicateurs qui n’ont bien sûr pas de sens dans le débat qui nous occupe ici. Les individus qui ont voulu créer un espace de coworking et qui ont essayé de demander des subventions se sont vus le plus souvent poliment éconduits par les collectivités territoriales auxquelles ils auraient souhaité faire appel, pensant naïvement que celles-ci pourraient avoir un intérêt quelconque à financer un lieu où l’on boit du café en refaisant le monde (parfois la perception du service public, bien sûr, qui ne comprend pas toujours comment s’articule l’animation du tiers lieu).
Il faut, à ce stade, tenter de distinguer plusieurs types d’initiatives en vue de la création d’espaces de coworking. D’un côté on trouve des espaces de coworking qui se sont créés en appui de réseaux déjà existants (les Cantines en sont un bon exemple, Paris, Toulon, Rennes, Toulouse, … sont bâties autour de clusters ou de réseaux de PME) et qui ont obtenu des financements pour, entre autre, dynamiser des réseaux souvent avec succès. Ainsi, l’espace de coworking qui n’est au départ qu’un des éléments de l’animation du cluster, en devient le point focal. Il brasse des communautés différentes et anime par de nombreux évènements le lieu, attirant ainsi toujours plus d’adhérents vers l’espace partagé et de participants aux évènements des communautés. Animateurs et animations dépendent en partie des financements publics car on trouve généralement dans les coulisses une collectivité territoriale qui a tout intérêt à ce que la dynamique soit importante. À la question : « Faut-il financer avec de l’argent public des tiers lieux de ce type-là ? », la réponse est bien sûr oui. En effet, la mise en place de tiers lieu de ce type relève autant de la volonté publique de dynamiser l’économie du territoire que de celle d’individus qui animent déjà des réseaux et qui ont cette vision d’un lieu central et attractif (c’est là la clé comme nous le verrons ci-dessous). Les pouvoirs publics doivent aller jusqu’au bout de la logique d’animation territoriale.
Pour diriger un espace de coworking, il faut un animateur-entrepreneur
[pullquote]La question n’est pas : faut-il ou non financer les espaces de coworking avec des fonds publics ? Mais plutôt : qui sera l’animateur du prochain espace qui sera installé sur notre territoire ?[/pullquote] Un deuxième type d’initiative relève beaucoup plus de l’entrepreneuriat privé. Il s’agit d’individus, ou plutôt de petits groupes d’individus, mus par des intuitions, qui sont animés par le désir de voir émerger sur un territoire un espace de partage pour des individus qui ne souhaitent pas rester isolés suite à leurs choix professionnels. Ce groupe de personnes anime l’espace partagé en s’appuyant sur la communauté dont ils ont eux-mêmes favorisé la création et ne demandent rien à personne. C’est d’eux qu’il s’agit lorsque nous évoquions plus haut les demandeurs de fonds publics qui se sont fait éconduire par les collectivités. Leur structure de coworking fonctionne en général très bien et ils atteignent assez rapidement le point mort. Bien qu’ils ne puissent pas se payer dans les mois qui suivent la création, ils persévèrent car ils savent qu’ils tiennent entre leurs mains la possibilité de vivre (modestement) de leurs talents d’animateurs et surtout de contribuer à des processus d’innovation sociale et de transformation de la société. C’est alors que les collectivités interpellées par une animation territoriale innovante se décident enfin à taper à la porte de l’espace de coworking pour proposer des subventions.
Nous pouvons citer plusieurs cas d’associations qui animent des espaces de coworking et qui ont refusé à un certain stade de leur développement les subventions ou les prêts proposés afin de garder une autonomie complète en comptant uniquement sur leurs capacités à animer l’espace pour faire croître leur « business ».
La leçon que nous pouvons tirer de ces constatations, qui ne valent peut être pas de règle générale, c’est que pour faire fonctionner un espace de coworking il faut au moins deux qualités :
1) La vision de l’animation territoriale par le biais des tiers lieux et plus spécifiquement du coworking, qui n’est pas que du télétravail ;
2) La hargne et la persévérance du chef d’entreprise qui croit en son projet.
Ces animateurs ont un profil plus proche du chef d’entreprise que de celui du chargé de mission détaché par la collectivité pour s’occuper d’un nouveau dispositif. Ce qui ne signifie pas qu’un chargé de mission au sein d’une collectivité ne puisse pas être habité par l’esprit d’un chef d’entreprise ou par une vision. En effet, pour qu’un espace de coworking fonctionne vraiment, qu’il soit financé en amont par les pouvoirs publics ou pas, il faut qu’il ait à sa tête un animateur qui ait une vraie vision de la transformation sociale qui peut être induite par l’installation d’un espace de coworking au sein d’un territoire et qui soit prêt à s’investir dans son fonctionnement. La question n’est donc pas : faut-il ou non financer les espaces de coworking avec des fonds publics ? Mais plutôt : qui sera l’animateur du prochain espace qui sera installé sur notre territoire ?
La vision par la collectivité de la présence d’un espace de coworking sur son territoire ne suffit pas. Il faut qu’elle place à sa tête un profil d’animateur-entrepreneur. Ce que nous disons ici pourrait être vrai pour tout dispositif public mais il le devient particulièrement dans le cas des tiers lieux comme les espaces de coworking ou les fablabs qui ont pour objectif de s’autofinancer.
Offre d’emploi : Importante collectivité locale disposant de fonds d’animation du territoire, cherche un/une entrepreneur pour lancer et animer un espace de coworking : Esprit de service, bon communicant(e), ayant une vision de la transformation de la société par le travail partagé, organisé(e), familier(e) avec les techniques d’animation des communautés, connais bien les usages d’Internet, prêt(e) à s’investir de longues heures, salaire pas terrible au début, intéressement aux résultats…. J’allais oublier ! Ne doit pas rechigner à faire le ménage si nécessaire et réparer le serveur s’il tombe en panne. Poste disponible immédiatement.
1) Une étude récente, menée par l’ARII et le Conseil Régional montre que près de 50 tiers lieux coexistent en PACA dont une bonne vingtaine dans le périmètre de la métropole.
2) Le livre blanc du télétravail : http://www.zevillage.net/2013/03/21/livre-blanc-du-tour-de-france-du-teletravail-et-des-tiers-lieux/
3) Ce ne serait pas du luxe entre Aix et Marseille !
4) Le livre blanc du télétravail, p 30. Anne Sophie Calais, directrice de l’initiative Telecentre 77 .
5) Depuis que cet article a été publié en 2013, le Conseil Régional PACA, au travers du dispositif PACA Labs, prépare un volet de financement pour les tiers lieux, sous conditions.
*Cet article a été édité par Amandine Briand